Racontez-moi le Ghéris !

C’est d’un livre sur la toponymie de la région de Ghéris dont nous gratifie Nour Dine Baoudra. « Goulmima : un lieu, un toponyme et un récit », publié à Casablanca, est d’une importance considérable notamment pour la préservation de la mémoire collective. En filigrane, l’auteur raconte l’histoire de certains membres de sa famille qu’il découvre en travaillant sur le projet de ce livre. Celle-ci est parfois tragique. Des anecdotes liées à certains lieux meublent également ce récit qui relève à la fois de la micro-histoire et de l’anthropologie.
L’auteur écrit que ce livre est le fruit de randonnées qu’il organisait avec son père, fin connaisseur de la région. Le livre détaille les toponymes des montagnes, des igherman (ksour) et ceux liés à l’eau et à la palmeraie.

Il notait soigneusement les propos de son père. À travers ces toponymes, on découvre des histoires désormais oubliées. Certains lieux sont intimement liés à des histoires familiales à l’instar de Tagwelzit n Qbibi. Qbibi était un aïeul. Rusé comme Ulysse. Ce berger, qui se sentait vulnérable parce qu’il était tout seul en plein montagne, a fait recours à un stratagème pour faire fuir des voleurs qui convoitaient ses chèvres et ses dromadaires. « Il s’est déguisé en différents personnages. Il apparaît par plusieurs fois et par plusieurs endroits. Donnant l’impression de présence de plusieurs personnes », faisant fuir les voleurs. Depuis, cet endroit porte ce nom. Une sorte d’hommage à ce personnage.

Deuxième exemple : Taqqat n Ayt Bawdra qui désigne un campement de la famille Ayt Bawdra. L’auteur écrit que ce lieu a connu un événement dramatique lors de l’occupation, sans préciser la date. Un avion de l’armée française a jeté « accidentellement des corps métalliques lourds », provoquant la mort de quatre membres de la famille (un homme, une femme et deux enfants) ainsi que 1000 caprins et 50 dromadaires. D’autres lieux traçant l’histoire de la famille comme Asif n Bawdra sont cités dans ce livre.

Certains lieux rappellent des drames vécus par des bergers tel que « Tizi n Tuqqen-Iker » où un berger avait été tué par balle par des voleurs qui ont subtilisé son troupeau. Face aux villageois ghérisois qui les traquaient, les voleurs ont égorgé une chèvre et exposé ses pattes ensanglantées comme signe d’avertissement et de défi, ce qui a poussé les villageois à renoncer aux poursuites. (Tuqqen, de Qqen : attacher, ligoter. Et Aker : Voler, enlever). La date de l’événement n’a pas été précisée.

D’autres histoires liées à des lieux d’une grande symbolique historique dans la région de Ghéris sont évoquées. Win Iwaliwen, théâtre de combats entre deux tribus rivales, rapportés par Charles de Faucault en 1883, sera également célèbre par une bataille opposant l’armée française aux tribus des Aït Yafelman au début des années 1930.

Certains lieux nous font voyager dans les méandres d’histoires fantastiques. Ils puisent leurs noms dans des contes locaux comme « Tikwa n Tarir » (les tamaris de l’ogresse) et Ljir n Ba Ḥeddu, qui tire son nom de celui d’un poète qui aurait croisé le chemin d’une ogresse (Tarir) qui voulait le dévorer et dont il a réussi à se débarrasser.

Ce livre, avec des images en couleur de plusieurs lieux cités, a pour but de collecter et répertorier les divers noms de lieux. L’idée a germé face à un constat fait sur le terrain. « Mon père connaissait chaque lieu par son nom patronymique. Certains de ces noms ont disparu et ne s’utilisent guère. Du moins par ma génération », écrit l’auteur.

Ces toponymes ont disparu à cause de la modernisation du mode de vie suite à la sédentarisation des nomades qui donnaient vie à ces lieux et, à travers eux, à leurs noms. L’auteur dresse à la fin de son livre une liste de noms complétement disparus. Un cimetière de toponymes.
En lisant ce livre, on se rend compte des ravages de l’arabisation surtout sur les noms des lieux au sein même de la ville de Goulmima. « Lḥadiqa » (jardin), Zzaki (nom d’un quartier de Goulmima qui trouve l’origine de son nom dans « Asaki/Asaka : passage à proximité d’un gué). Même Tizi n Imnayen, qui désignait une partie de la nouvelle ville, n’a pas échappé à l’arabisation. Il est devenu « place de la marche verte » (Saḥat al-masira al-xaḍra).

Pour reconstituer l’histoire de certains toponymes, l’auteur s’est appuyé sur le livre « reconnaissance du Maroc » de Charles de Faucauld qui a décrit son passage à Goulmima le 30 avril 1884, avec Mardochée Aby Serour, rabbin et explorateur.

Si ce livre qui retrace la mémoire de la vallée de Ghéris à travers sa toponymie est d’une grande importance, il subsiste toutefois quelques hics. Les noms des lieux n’ont pas été transcrits conformément à la notation usuelle en usage en langue amazighe. Une introduction pour présenter non seulement la région de Ghéris, au moins géographiquement et historiquement, mais également la méthodologie que l’auteur a adopté pour travailler sur cette thématique, aurait été bienvenue.
Nour Dine Baoudra est né à Goulmima. Il est poète et nouvelliste. Il vient de sortir un recueil de nouvelles (Tullisin), intitulé « Abrid n imakren n walim » (la voie lactée).

Aksil Azergui

De quoi l’ELCO est-il le nom ?

Dans une note datée du 8 mars 2024, le ministère marocain de l’éducation nationale a appelé les directeurs des académies régionales et ceux des établissements scolaires à recruter des fonctionnaires pour enseigner « la langue arabe et la culture marocaine aux enfants des Marocains résidents en Europe ». Le but de cet enseignement, explique le ministère, est de « bâtir des ponts » entre ces Marocains qui vivent à l’étranger et leur pays d’origine et surtout avec ses « valeurs nationales, religieuses, identitaires et culturelles ».
Le ministère compte recruter 151 enseignants et les envoyer en France (68), en Espagne (38) et en Belgique (45). Leurs contrats sont d’une durée de quatre ans.
Le ministère n’a fait aucune allusion à la langue et à la culture amazighes dans ce document. Pourtant, cette langue est officielle dans la constitution, nous dit-on. Elle est même enseignée dans les écoles marocaines. La plupart des enfants ciblés en Europe par cet enseignement de la « langue arabe et de la culture marocaine » sont amazighs. Cet enseignement ne vise en réalité qu’à arabiser et à islamiser les Imazighen en Europe.

C’est quoi l’ELCO ?

L’enseignement des langues et cultures d’origine (ELCO) est un dispositif français d’intégration destiné aux élèves migrants. Il a vu le jour en France au cours des années 1970. L’objectif est de permettre aux élèves étrangers de mieux s’insérer dans l’école de la République tout en conservant leurs racines à travers le maintien d’un lien avec le pays d’origine.
La circulaire n° 76-128 du mars 1976, qui a fixé le cadre général de cet enseigne-ment, précise que « des cours de langue et de civilisation étrangères peuvent être donnés dans les écoles élémentaires, en dehors des heures de classe, à l’intention d’élèves étrangers qui ne bénéficient pas encore d’un enseignement de leur langue maternelle intégré au tiers temps pédagogique. »
C’est le Portugal, un pays d’émigration, qui a demandé en premier l’enseignement de sa langue dans les écoles françaises. La France signera par la suite des accords bilatéraux avec plusieurs pays dont le Maroc (décret n° 91-774 du 7 août 1991). Cet enseignement est assuré par des « maîtres » mis à la disposition de l’éducation nationale française par les États concernés.

L’ELCO transformé en machine idéologique

La monarchie marocaine a profité de ce dispositif en le transformant en une redoutable machine d’arabisation et d’islamisation contribue à priver les enfants amazighs de leur identité. Cette stratégie est mise en place également dans d’autres pays européens. La monarchie mobilise des ressources énormes pour cette opération. Elle exclut, jusqu’à présent, tout enseignement de la langue amazighe. La même stratégie est d’ailleurs adoptée par l’État algérien.

Depuis 1991, le Maroc a lancé les premiers programmes d’enseignement de la langue arabe et de la culture d’origine au profit des enfants des Marocains résidant à l’étranger (MRE). Il s’agissait d’offrir à ces enfants des cours de langue arabe et de culture de leur pays d’origine afin de faciliter leur intégration dans le système scolaire marocain dans une perspective de retour. L’idée était de les doter d’atouts linguistiques à travers un enseignement de la langue arabe pour favoriser cette intégration, vu que l’émigration était considérée comme une phase transitoire qui devait se terminer par un retour au pays.

Au fil des années, la donne a changé. L’immigration de travail a fini par devenir celle du peuplement. Les MRE, essentiellement des Amazighs contraints de quitter leur pays (essentiellement du Rif et du Souss) par des politiques d’appauvrissement, ont fait le choix de rester dans les pays d’accueil parce que leur pays d’origine ne leur offre pas d’opportunités de nature à leur permettre de mener une vie digne.

Malgré cette absence de toute perspective de « retour » des immigrés au pays d’origine, le gouvernement marocain a continué à envoyer des enseignants d’arabe classique et de « civilisation marocaine » dans plusieurs pays européens, dont la France, la Belgique et l’Allemagne. Le but n’est pas de préparer ces enfants au retour au pays, mais de les arabiser et de les islamiser. Ce qui, bien évidemment, ne facilite pas leur intégration dans les pays d’accueil. Cette politique est dommageable aux enfants, notamment les enfants amazighs. L’ELCO est une implacable machine idéologique et politique dont le but est de priver ces enfants de leur identité, de leur faire croire qu’ils sont arabes tout en les maintenant sous la coupe de la monarchie marocaine.

C’est ce qui ressort d’un rapport de 80 pages intitulé « L’évaluation de l’impact de l’enseignement de la langue arabe sur la maîtrise de la langue et sur la culture de la communauté d’origine marocaine à l’étranger ». Il est publié par l’instance nationale d’évaluation du système d’éducation, de formation et de recherche scientifique, un organisme lié au ’Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique (CSEFRS).

Depuis 1999, le Maroc mobilise des moyens conséquents (576 enseignants) et draine en moyenne 75 000 bénéficiaires par an d’après des chiffres de la Fondation Hassan II pour les MRE, précise ce rapport (page 5). Malgré la reconnaissance de la langue amazighe comme langue officielle depuis 2011, cette langue n’a toujours pas été intégrée dans l’ELCO. Pourtant, ce document, daté de 2017, explique que l’ELCO est un « facteur d’équilibre identitaire, culturel et linguistique des nouvelles générations de Marocains établis à l’étranger ». Il précise que « cet engagement du Maroc pour assurer un enseignement de qualité de l’arabe aux enfants des MRE est renforcé par la Vision stratégique 2015- 2030 du CSEFRS par l’inclusion de ces enfants dans la réforme de l’éducation à l’horizon 2030. » Bien sûr, dans l’absence totale de la langue amazighe.

Cette « enquête de terrain » menée par des enseignants en utilisant des questionnaires biaisés auprès de 1272 personnes en France, en Belgique et en Allemagne, précise que 90,6 % des enfants sondés souhaitent apprendre l’arabe parce que c’est « important » pour eux. 83,8 % le font pour « apprendre le coran ». La question A10 de ce questionnaire que nous avons consulté propose dix réponses, toutes piégées. Celles-ci sont très dirigées idéologiquement. Le sondé n’a pas le choix. 85 % des sondés sont nés en Europe. 64 % d’entre eux sont des hommes et 36 % des femmes.

Arabisons tout

Ce rapport explique que « pour une large part des enfants des MRE qui apprennent l’arabe, ces cours commencent entre 6 et 8 ans, et près de 70 % considèrent avoir commencé l’apprentissage à cet âge. Il s’agit d’une période où se constituent les bases essentielles et durables du développement intellectuel et socio-émotionnel de l’enfant. A cet âge, en effet, l’enfant s’imprime de ses environnements social et matériel par l’intermédiaire du langage et de son activité sensorielle. Il acquiert ainsi les savoirs et compétences culturels et se forge sa propre image de soi ; l’apprentissage de la langue est donc un outil fondamental. » (p. 20) Rappelons qu’il s’agit ici de l’apprentissage de la langue arabe classique. Le but étant d’islamiser en enseignant l’arabe aux enfants. Il précise d’ailleurs que « l’association entre la langue et la religion ressort pour une majorité des enquêtés. »

Ainsi, être « musulman » signifie automatiquement être arabe. C’est ce que confirme ce document. « L’apprentissage de la langue arabe est fondamental. Il s’agit de l’arabe standard moderne (plus ou moins équivalent à l’arabe classique) qui est fortement chargé des identités nationale et religieuse, en tant que repère culturel (appartenance à la communauté arabe et à l’Islam). Ainsi, les apprenants considèrent que cette langue est un outil pour l’approfondissement des connaissances religieuses : c’est le cas de 91,3 % en Allemagne, 83,3 % en Belgique et de 76,3 % en France. Cette langue semble jouer un rôle dans le maintien de l’identité tout en renforçant l’estime de soi et le sentiment d’appartenance à une communauté culturelle et religieuse dans une situation migratoire. » (p. 21)

La maîtrise de l’arabe classique est « l’objet de l’enseignement dans le programme de l’ELCO » (p. 50), rappelle le document.
De ce fait, les enfants amazighs conçoivent l’arabe comme un « élément identi-taire » qui fait d’eux automatiquement des musulmans, sujets du monarque maro-cain, alors que la plupart d’entre eux (85 %) sont porteurs de nationalités euro-péennes.
Les objectifs de cet enseignement sont éloquents. Il vise à arabiser. Le rapport révèle que « les jeunes de l’ELCO utilisent plus l’arabe darija (dialectal marocain) pour communiquer pendant leur séjour au Maroc, que les non bénéficiaires de l’ELCO » (p. 49). Il ajoute aussi que les chaînes TV marocaines « sont regardées de manière plus prononcée par les jeunes de l’ELCO que par les non bénéficiaires de l’ELCO ».

Tamazight, la grande négation

Si le rapport ne préconise nullement l’apprentissage de la langue amazighe aux « enfants des MRE », il révèle que « l’usage de la langue amazighe, comme langue de communication au sein de la famille occupe une place importante » (p. 50). Le but de l’ELCO est, semble-t-il, d’éradiquer cet usage intensif.
Le document évoque pourtant la langue amazighe et précise que cette langue est dominante dans des foyers migratoires comme l’Allemagne et la Belgique car, précise le rapport, cette langue « correspond au parler des MRE issus de bassins migratoires comme le Rif et la région du Souss. Cette langue est ainsi parlée par 38,4 % des enquêtés lors de leur enfance, avec des différences notables entre pays (56,6 % en Allemagne, 41,2 % en Belgique et 18,4 % en France) » (p. 27). Nous estimons que ces chiffres ont été minorés pour des raisons idéologiques.
Tous les tableaux publiés dans cette enquête par échenillage révèlent une présence significative de la langue amazighe, mais rien n’est proposé pour la développer et la maintenir en vie en Europe.

ELCO, un dispositif dangereux et inadapté

Sachant que l’ELCO a été mis en place pour préparer les immigrés au retour, il paraît que la plupart de ces derniers ne souhaitent pas rentrer chez eux.
« Interrogés s’ils ont l’intention de retourner définitivement au Maroc, 74,7 % répondent par la négative. La majorité estime être bien établie dans le pays de résidence et seulement un quart (25,3 %) exprime le désir de retourner au Maroc. Ce désir de retour pourrait s’expliquer, d’après le rapport, par les thèses racistes et islamophobes qui s’affichent ouvertement en Europe ou par la crise économique et financière qui y sévit actuellement ou autres. Des différences existent parmi les répondants quant à cette question de retour : 12,1 % y seraient favorables en Allemagne, 32 % en Belgique et 29,7 % en France (…) On remarque une différence par genre lorsqu’il s’agit du retour au pays. Si 71,6 % des hommes ne souhaitent pas retourner au Maroc, les femmes sont un peu plus nombreuses (80,2 %) dans cette absence de souhait. L’interprétation que les femmes jouissent d’une liberté de mouvement et d’opportunité d’emploi plus conséquentes que dans le pays d’origine est-elle suffisante ? Seule une étude plus approfondie sur l’émigration féminine pourrait le confirmer » (p. 45). Si les femmes ne souhaitent pas rentrer, c’est, à notre avis, par ce qu’elles craignent justement que leur liberté soit remise en cause par l’idéologie islamique répandue dans leur pays d’origine.
L’ELCO, détourné de sa mission initiale par la monarchie marocaine, est l’un des rouages d’une machine d’arabisation et d’islamisation massives. Il empêche l’intégration des enfants issus des pays de l’Afrique du Nord dans les sociétés d’accueil. Ces enfants sont également endoctrinés par l’islamisme radical, ce qui fait d’eux des proies faciles aux groupes terroristes islamistes.

Nous rappelons que d’autres pays d’Afrique du Nord comme l’Algérie et la Tunisie envoient des enseignants d’arabe dans plusieurs pays européens. Au total, 48 121 enfants issus de ces pays apprennent l’arabe dans les écoles françaises dans le cadre de l’ELCO (banquedesterritoires.fr. 20 février 2020).
En 2000, un rapport du Haut conseil à l’intégration (HCI) souligne que si la connaissance de la culture d’origine est indispensable, sa méconnaissance fait souvent de l’islam l’unique référent identitaire. Ce rapport affirme également la nécessité de la promotion des langues minorées comme le berbère ou le kurde. Il souligne que le fait de ne pas prendre ces langues en considération relève de la discrimination.

Le 18 février 2020, le président français a dévoilé à Mulhouse, les premières pistes des actions qu’il compte engager pour lutter contre ce qu’il appelle « le séparatisme islamiste », à savoir la suppression de l’ELCO (maire-info.com, 19 février 2020). Il préconise la suppression « partout sur le sol de la République » des ELCO et leur transformation en EILE (enseignements internationaux de langues étrangères). « Le problème que nous avons aujourd’hui avec ce dispositif, c’est que nous avons de plus en plus d’enseignants qui ne parlent pas le français, qui ne le parlent pas du tout, de plus en plus d’enseignants sur lesquels l’Education nationale n’a aucun regard. Et je vous le dis en responsabilité, comme président de la République, je ne suis pas à l’aise [à l’idée] d’avoir dans l’école de la République des femmes et des hommes qui peuvent enseigner sans que l’Education nationale puisse exercer le moindre contrôle. Et nous n’avons pas non plus le contrôle sur les programmes qu’ils enseignent, c’est un problème. » Et Emmanuel Macron d’enfoncer le clou : « On ne peut pas enseigner des choses qui ne sont manifestement pas compatibles avec les lois de la République ou avec l’histoire telle que nous la voyons ».

Il est temps d’en finir. Reste à transformer les paroles en actions concrètes sur le terrain.

Aksil Azergui

Cet article a été également publié sur le site tamazgha.fr

LE DOCUMENT EN PDF (de l’instance nationale d’évaluation du système d’éducation, de formation et de recherche scientifique)

SAID SIFAW

UN POÈTE SINGULIER

Saïd Sifaw El Mahroug, né en 1946 à Jadou dans les montagnes de Nefousa (région berbérophone du Nord-Ouest libyen) et mort le 28 juillet 1994 à Sfax en Tunisie, est un poète, écrivain et journaliste amazigh.

Il est l’une des figures emblématiques de l’amazighité en Libye. Dès sa tendre enfance, il quitte Jadou avec sa famille pour s’installer à Tripoli où il fait ses études primaires et secondaires.

Il poursuit ensuite des études de médecine au Caire en Égypte. À cause de son engagement politique contre la monarchie libyenne et sa publication d’une série d’articles hostiles à la politique officielle, il est privé de bourse d’études. Il raconte, dans une lettre posthume intitulée « Le livre noir » avoir été convoqué par l’ambassade libyenne au Caire. Un haut fonctionnaire le menace directement en pointant de doigt un pistolet posé sur la table. Ironie du sort, des années plus tard, ce sera Kadhafi, celui qui a renversé la monarchie en 1969, qui le menacera personnellement à cause de ses positions politiques.

Sa bourse suspendue, il revint alors à Tripoli et s’inscrit à la Faculté de droit en 1967. Il poursuivra des études de droit aux États-Unis avant de rentrer en Libye où il est embauché par la compagnie pétrolière Al-Waha.
Le coup d’État de Kadhafi, en 1969, enfonce le pays dans une atmosphère plus étouffante. Kadhafi cadenasse toute expression politique et intellectuelle hostile à l’idéologie officielle, un mélange de social-nationalisme arabe et d’islamisme politique. Le régime totalitaire mis en place par Kadhafi tente d’homogénéiser la pensée et la société en liquidant toutes les voix dissidentes. Des purges sont menées dans les rangs des ennemis de la révolution.

La barbarie atteint son paroxysme en 1984 avec la pondaison publique de plusieurs étudiants amazighs dans le campus de l’université de Tripoli. En 1985, le même sort a été réservé à Ferhat Ammar Hleb, un jeune amazigh revenu au pays au terme d’études effectuées aux États-Unis. Il a été pendu sur une place publique à Zouara au cœur du pays amazigh. Ferhat était connu pour ses positions favorables à l’identité amazighe.


Certains des plus « chanceux » parmi les militants berbéristes, qui ont réussi à fuir le pays, ont été rattrapés par les services secrets de Kadhafi (comités révolutionnaires) et assassinés. C’est ainsi que le 26 juin 1987, Youssef Salah Kherbich a été tué à Rome (Italie). Ces crimes macabres sont légitimés au nom d’une idéologie barbare, raciste et impérialiste : l’arabo-islamisme.

Sifaw, en tant que poète et intellectuel engagé politiquement, affrontait l’idéologie dominante à visage découvert. Il a choisi de mener un combat frontal et intellectuel contre le régime de Kadhafi à l’intérieur de la Libye, même s’il avait pensé quitter définitivement le pays pour fuir la répression politique.

Saïd Sifaw a procédé à un travail de collecte de contes et de mythes anciens amazighs. Il écrit surtout des poèmes dans cette langue qui le lie aux racines de sa vie et aux souvenirs de sa mère disparue en 1960. Dissident, il attire sur lui les foudres de la dictature. Après de multiples harcèlements policiers, d’arrestations, de menaces de mort, d’intimidations, il sera visé par une tentative d’assassinat en 1979. Paralysé à vie, il continue sa lutte. Confronté à de nombreuses tracasseries administratives, sanitaires et judiciaires qu’il détaille dans « Le livre noir », il refuse de baisser les bras et continue d’écrire jusqu’à sa mort.


Sifaw est avant tout un poète révolutionnaire et engagé. Il écrit en arabe et en Amazigh. Sifaw disait souvent qu’en Libye, faire de la poésie peut passer pour un crime. Et c’est ce crime qu’il a choisi de commettre[1].

La poésie de Sifaw témoigne de l’impossibilité d’écrire dans un pays où tout s’oublie : la langue, les noms, l’histoire…

Tant de gens
Ont oublié leurs noms
Après avoir oublié
Leur accent.

Paralysé, il ne lui reste que la possibilité d’explorer sa mémoire pour se ressourcer des mythes des anciens et refaire le monde :

Je vais ramener avec moi
Satan au paradis.

us ses écrits, seuls un recueil de contes traduits en arabe « Les voix de minuit » et un recueil de poésie « Poèmes silencieux » ont vu le jour. Le reste, en particulier toute sa production en Amazigh — une transcription de contes anciens, des poèmes et une grammaire du parler de Nefousa — sont éparpillés dans les bibliothèques privées de ses amis intimes[2].


[1] Said Sifaw El Mehroug. Lien : http://www.mondeberbere.com/sifaw_fr.html

[2] Les traductions de quelques fragments des poèmes de Sifaw (le deuxième fragment retraduit) sont proposées par Mondeberbere.com, idem.

Notre traduction/adaptation du « Le livre noir » de Saïd Sifaw en PDF (IFS #2).

DOSSIER « SAID SIFAW »

LE MANGEUR DE BRAISES

(Ce texte a été publié dans « IFES » Numéro 2)

Saïd Sifaw est certainement le plus illustre des inconnus dans le monde amazigh. Pourtant, il était l’un des pionniers du militantisme en faveur de l’amazighité, alors que la Libye sombrait dans le totalitarisme arabo-musulman incarné par le tristement célèbre Kadhafi.

Sifaw est poète, journaliste et écrivain. Il a produit des textes en langue amazighe, interdite en Libye, alors que des militants amazighs sont tués ou forcés à l’exil par le régime libyen.

Lui-même n’échappera pas à la répression politique. Il sera victime d’une tentative d’assassinat qui l’a cloué au lit jusqu’à sa mort dans une clinique en Tunisie en 1994. Avant cette tentative, il a été emprisonné, menacé de mort et étroitement surveillé par les services de renseignements de Kadhafi.

On garde de Sifaw l’image d’un intellectuel très engagé qui a résisté courageusement à la dictature en choisissant d’écrire et de publier ce qu’il pense, alors que d’autres écrivains qu’il qualifie de « mercenaires », de « parasites » et de « rapporteurs » collaboraient activement avec le régime dictatorial libyen. Il n’a jamais cessé d’écrire et de publier des livres, des articles et des poèmes pour prendre position, s’exprimer et dénoncer l’arbitraire et la répression. Ses positions courageuses hostiles à l’islam et en faveur de la langue et de la culture amazighes dans un pays comme la Libye des années 1970 et 1980 ont provoqué l’acharnement des services de renseignements contre lui et sa petite famille.

Il a vécu les dernières années de sa vie dans des conditions tragiques qu’il raconte lui-même dans le document que nous avons choisi de publier dans ce numéro, tout en rappelant le contexte sensible dans lequel cette lettre intitulée « Le livre noir » a été écrite et diffusée.

Par devoir de mémoire, nous rendons hommage à cet intellectuel qui s’est dressé contre l’arbitraire et l’injustice, en usant du verbe.

N’avait-il pas écrit que « tout Berbère ne peut être que révolutionnaire » ?

Le dossier a été préparé par AKSIL AZERGUI

Monarchie marocaine : l’échec programmé de l’enseignement de la langue amazighe

En 2003, la langue amazighe a intégré le système éducatif de l’État marocain. Vingt ans plus tard, cet enseignement n’a pas été au-delà de l’enseignement primaire alors que le ministère avait promis sa généralisation à tous les niveaux. Ce même ministère a tout fait pour bloquer l’enseignement de cette langue, pourtant officielle depuis 2011. Pendant ce temps, le Mouvement amazigh, liquéfié par la monarchie, paraît impuissant devant cette situation.

Mais que dit au juste la loi organique ?

L’article 4 du Dahir du 12 septembre 2019, « portant promulgation de la loi organique n°26-16 fixant le processus de mise en œuvre du caractère officiel de l’amazighe, ainsi que les modalités de son intégration dans l’enseignement et dans les domaines prioritaires de la vie publique », précise ce qui suit :

« L’autorité gouvernementale chargée de l’éducation, de la formation et de l’enseignement supérieur, en coordination avec le Conseil national des langues et de la culture marocaine et le Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique, œuvre à la prise des mesures nécessaires pour permettre l’intégration de la langue amazighe de manière progressive dans le système de l’éducation et de la formation dans les secteurs public et privé.
A cet effet, la langue amazighe est enseignée de manière progressive dans tous les niveaux de l’enseignement préscolaire, primaire, secondaire collégial, secondaire qualifiant et de formation professionnelle.
Elle doit être généralisée, de la même manière, aux niveaux de l’enseignement secondaire collégial et qualifiant ».

Promesses

Lors d’une conférence de presse organisée le 1er juin 2023, le ministre marocain de l’Éducation nationale a déclaré « qu’actuellement, 1.066 établissements scolaires primaires enseignent l’amazighe, au profit de 330.000 élèves. Notre objectif est d’atteindre, d’ici 2030, 12.000 établissements capables d’enseigner l’amazighe, soit 4 millions d’élèves. Nous avons tracé une trajectoire pour atteindre ces chiffres et nous espérons atteindre nos objectifs d’ici 2026″.
Le ministère de l’Éducation nationale a annoncé la généralisation progressive de l’enseignement de la langue amazighe au cycle primaire au titre de la rentrée scolaire 2023/2024, à l’horizon d’une généralisation globale lors de la rentrée 2029/2030.
« En vue de mettre en œuvre ce chantier national, le ministère entreprend bon nombre d’actions et de mesures organisationnelles, administratives, pédagogiques, de formation et d’appui aux niveaux central, régional, provincial et local, et ce dans l’objectif d’atteindre un taux de couverture de 50% des établissements scolaires offrant un enseignement en Amazighe au cours de la rentrée scolaire 2025-2026« , précise le site Maroc.ma [1].
Depuis le début de l’intégration de cette langue dans l’école marocaine en 2003, Seuls 330.000 élèves apprennent la langue amazighe dans 1.066 établissements du primaire. Le nombre des enseignants formés pour enseigner cette langue ne dépasse pas 1.600 enseignants. Le ministère fait souvent appel aux enseignants d’autres matières (les « bilingues », pour reprendre la terminologie utilisée) pour enseigner la langue amazighe, alors qu’ils ne disposent d’aucune formation pour mener à bien cette mission.
Le ministère promet de former 400 enseignants de cette langue chaque année, ce qui est très insuffisant, alors que pour la généraliser, il faudra former 15.000 enseignants au total d’ici 2030.
Dans le secteur privé, seul 2 % des établissements scolaires enseignent cette langue depuis 2003. Aucune évolution n’a été constatée à ce niveau.

Les forçats de « la généralisation »

Au lieu d’appliquer les dispositions de la loi organique et de recruter davantage d’enseignants, le ministère n’hésite pas à exercer des pressions sur les enseignants de la langue amazighe déjà en poste. D’après des communiqués rendus publics début septembre 2023, plusieurs coordinations régionales des enseignants de la langue amazighe affirment que le ministère a imposé à chaque professeur de dispenser 3 heures de cours hebdomadaires de langue amazighe à 9 classes différentes. Ces classes sont situées dans différentes écoles. L’enseignant doit se déplacer d’une école à l’autre pour effectuer cet enseignement.
Certains enseignants se sont vus interdire d’enseigner cette langue par leurs hiérarchies pour des raisons idéologiques. C’est le cas à l’école Abdellah Guennoun à Fès, ce qui a été dénoncé dans un communiqué, daté du 26 septembre 2023, par la Coordination de la région Fès-Meknès. Cette dernière a dénoncé l’anarchie qui règne dans l’enseignement de cette langue, précisant que le volume horaire hebdomadaire de l’enseignant de la langue amazighe est de 24 heures alors que les académies régionales imposent aux enseignants d’enseigner 30 heures.
La Coordination explique que les enseignants de la langue amazighe ne disposent pas de classes propres pour exercer leur professions, ils changent de classes et d’écoles chaque semaine et ne disposent pas de manuels scolaires, comme le confirme la Coordination d’Errachidia dans un communiqué daté du 24 septembre 2023.
Pour sa part la Coordination régionale des enseignants de la langue amazighe d’Inzegan-Aït Melloul affirme dans un communiqué daté du 23 septembre 2023 que les enseignants de la langue amazighe sont exclus des formations continues et que le ministère recrute des enseignants d’autres matières pour enseigner la langue amazighe. Ainsi, le ministère fait appel à des enseignants déjà en poste et qui enseignent d’autres matières pour gonfler ses chiffres d’enseignants de la langue amazighe. Une telle politique aura, sans doute, des conséquences négatives sur la qualité de cet enseignement.
Le chantier de l’enseignement est déterminant pour la survie de la langue amazighe agressée de toute part et menacée de disparition malgré son officialisation. Il est urgent que le Mouvement amazigh se mobilise sérieusement et exerce des pressions sur les autorités marocaines afin que celles-ci respectent leurs engagements en la matière.

Généraliser l’enseignement de la langue amazighe recommandé par le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD)

Suite à l’examen, les 22 et 23 novembre 2023 à Genève, du rapport présenté par l’État marocain et s’appuyant sur des informations fournies dans des rapports alternatifs présentés par des ONG amazighes dont Tamazgha, le CERD a recommandé dans ses observations à l’État marocain « d’intensifier ses efforts visant à mettre en œuvre les dispositions constitutionnelles et la loi organique n° 26-16 relatives au caractère officiel de la langue amazighe« , et lui recommande en particulier d’accroître l’enseignement de la langue amazighe « dans tous les niveaux éducatifs, y compris au niveau de l’enseignement préscolaire, et d’élargir le nombre d’enseignants dûment formés à l’enseignement de l’amazighe« .
Pour rappel, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale est composé d’experts indépendants chargés de surveiller l’application par les États parties de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale.

Aksil Azergui

Lire également :
 Question amazighe : l’État marocain épinglé par les experts onusiens
 Nations unies : la monarchie marocaine interrogée sur la question amazighe
 La monarchie marocaine devant le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale des Nations Unies

Menaces contre les civils de l’Azawad

L’État malien renoue avec ses pratiques génocidaires et s’acharne sur les populations touarègues et maures.

La voix brisée d’un homme touareg entendue sur les réseaux sociaux il y a plusieurs jours hante l’esprit. Cet homme s’exprime dans la belle langue tamashaq, pleine de rondeurs et de douceurs. Mais son récit est rude. Lui-même est-il encore vivant ?
Sa parole retrace le contexte politique qui depuis sa jeunesse en 1990 a rythmé sa vie au Mali : les revendications socio-politiques des Touaregs, les violences de l’armée malienne contre les habitants, le refus total du gouvernement à prendre en compte les droits citoyens de la population du nord, les luttes armées, le sacrifice des jeunes gens, les milices contre-insurrectionnelles semant la terreur parmi les civils, l’exil de milliers de familles pour échapper aux tueries, les camps de réfugiés, la misère, les traités de paix successifs entre les fronts armés touaregs et l’État malien désireux surtout d’arrêter les combats que perd son armée en fuite sur le terrain militaire. Dès la trêve obtenue, les dirigeants politiques arment et encadrent des milices paramilitaires qui assassinent les teints « rouges », civils touaregs et maures vulnérables (femmes, enfants, vieillards). Avec la complicité active ou passive des militaires, ils brûlent les campements et les maisons, pillent, terrorisent et tuent des centaines de civils [1]. Les survivants affluent en masse dans les camps de réfugiés en Mauritanie, en Algérie et au Burkina Faso.
Un scénario brutal et répétitif jusqu’au dernier traité de paix, celui de 2015 signé à Alger sous l’égide de la communauté internationale. Bien que le cadre de cet Accord soit limité – mesures de décentralisation et intégration, dans l’armée « nationale », des combattants issus des groupes armés signataires de l’Accord – les autorités maliennes ont freiné son application, jamais achevée, comme ce fut le cas pour les précédents accords.

Le 24 mai 2021 au Mali, un nouveau coup d’État remplace celui qui avait renversé le président Ibrahim Boubakar Keïta neuf mois plus tôt. Assimi Goïta, un colonel putschiste récidiviste, prend la tête de la junte. Après avoir chassé l’armée française et les forces onusiennes internationales (MINUSMA) installées au Mali dans le cadre de « la lutte anti-terroriste », après avoir repoussé le calendrier des élections présidentielles au grand dam de la communauté internationale, ainsi que d’acteurs de la société civile malienne ou des partis politiques, le colonel annonce un coup de force au nom de la « sécurité ».
L’armée malienne va-t-elle enfin affronter et endiguer l’avancée des groupes jihadistes (sous l’obédience de l’État islamique et d’Aqmi) qui malmènent et terrorisent depuis 20 ans la population du nord, d’autant qu’ils ont aujourd’hui étendu leur emprise jusqu’à quelques kilomètres de la capitale Bamako ?
Dans le centre du Mali l’armée se livre à plusieurs massacres concernant en majorité des civils peuls confondus avec les jihadistes [2]. Au nord, ce n’est pas la menace islamiste qui semble préoccuper le régime de transition malien mais les autonomistes de l’Azawad. En attaquant ces derniers à Ber les 11 et 12 août 2023, Goïta rompt unilatéralement l’Accord de paix et de Réconciliation, parrainé par l’Algérie depuis 2015 avec le soutien de la communauté internationale et de l’ONU. Il transforme ses partenaires du nord en « terroristes », entretenant la confusion entre autonomistes et jihadistes également présents dans la région et en relations conflictuelles. Le gros mot est lancé et le permis de tuer instauré [3]. Mais Goïta ne part pas lui-même au combat. Il préfère embaucher une force étrangère, les mercenaires russes Wagner, payés à grands frais sur les caisses de l’État [4] au détriment des Maliens dont la majorité écrasante vit en dessous du seuil de pauvreté. En s’appuyant sur cette unité paramilitaire russe, connue pour ses sordides exactions contre les civils [5], l’objectif de la junte se précise : il s’agit de liquider non seulement la question politique de l’Azawad, mais sa population.
La médiation internationale menée par l’Algérie pour le suivi de l’accord de paix reste muette. Pire, les avions qui renflouent l’armée malienne avec les effectifs de la milice Wagner et les armes russes (dont des drones achetés à la Turquie) transitent par l’Algérie. A qui s’attaquent les troupes régulières et les mercenaires auxiliaires de l’État malien ? Selon un scénario récurrent, ces colonnes s’en prennent aux civils innocents qui ne peuvent se défendre, ils les éliminent, s’accaparent de leurs modestes biens et brûlent leurs villages ou leurs campements pour faire fuir les survivants. Rien ne stoppe la violence extrême des militaires maliens et de leurs alliés russes dont les méthodes d’assassinat par égorgement (pratiquées dès mars 2022 contre les villageois peuls de Moura au centre du Mali) sont identiques à celles de l’État islamique.
Le 2 octobre 2023, une lourde colonne malienne de 100 chars et véhicules blindés part de Gao en direction de Kidal. Elle atteint Anefif à 100 km de Kidal. Le village est déserté par ses habitants qui connaissent les pratiques d’exécution sommaire des militaires maliens appuyés par les miliciens russes. Encerclés par les combattants touaregs et faute de pouvoir s’approcher de Kidal, l’armée malienne et ses alliés russes usent de drones tueurs. Le mardi 7 novembre 2023, ils bombardent Kidal à trois reprises. La base de la Minusma que les Casques bleus viennent de quitter et deux autres cibles civiles dont une école sont atteintes. On dénombre plusieurs morts, selon les chiffres de la Coordination des Mouvements de l’Azawad [6] huit enfants et six hommes, ainsi que de nombreux blessés. Les combats qui s’engagent avec les groupes touaregs de l’Azawad quand la colonne Fama-Wagner tente d’atteindre Kidal sont violents. La presse malienne parle de « percée » tandis que du côté touareg on relève des mouvements de débandade parmi les militaires maliens et leurs mercenaires russes. Ces derniers bombardent aveuglément Kidal que les habitants pris au piège tentent de fuir. Le 14 novembre, l’armée malienne et ses supplétifs russes entrent dans Kidal.
La junte a-t-elle atteint son objectif de « restaurer la souveraineté de l’État sur l’ensemble du territoire national » sans intégrer dans ses troupes les combattants issus des groupes armés signataires de l’Accord d’Alger ? Sur le plan militaire, l’asymétrie des armes ne laissait prévoir que cette issue au profit de l’armée malienne et de la milice russe lourdement équipées et dotées d’une force aérienne conséquente [7].
Par contre, sur le plan socio-politique, la réactivation de l’option génocidaire du système malien (déjà mise en œuvre à de nombreuses reprises) est certainement la plus contre-productive qu’il soit pour l’avenir de cet État. Rappelons qu’en 1963, lorsque surgit le premier soulèvement des Touaregs de l’Adagh contre le nouveau dispositif frontalier entre Mali et Algérie qui ampute leurs parcours nomades et les sépare de l’Ahaggar, l’armée malienne se livre à une répression atroce contre les civils, endeuillant et traumatisant les familles sur plusieurs générations. Cette violence disproportionnée de l’État malien va fabriquer les « rebelles » de demain. Loin d’être circonstancielle, cette méthode de gestion des conflits politiques par la terreur semble structurelle, probablement nécessaire au fonctionnement même de cet État. Car depuis 60 ans d’indépendance, le gouvernement malien s’est montré incapable de restaurer la confiance au nord et de se constituer en ensemble national intégrant chaque pan de sa population. La corruption des dirigeants, la faillite des services publics, la paupérisation des habitants, la crise économique endémique, l’autoritarisme et l’idéologie héritée de la colonisation ont été corrélés à une propagande d’État qui a transformé toute contestation politique en guerre de races, d’ethnies ou de tribus. Orienter la colère et la frustration sociale vers un bouc émissaire : le nord, les nomades (Touaregs, Peuls, Maures), les éleveurs, les teints clairs… a servi à faire oublier la responsabilité des dirigeants dans la faillite de l’État.
Depuis la colonisation, le vaste espace d’échanges et de circulation qu’étaient le Sahara et ses franges sahéliennes n’a cessé de se rétrécir comme peau de chagrin. Découpé, amputé, recouvert de lignes frontières, appauvri, violenté, détruit, particulièrement ravagé et pollué du côté algérien, nigérien et libyen par l’exploitation minière (pétrole, gaz, uranium, or), miné par le trafic de drogue aux mains d’une mafia internationale, ce territoire à l’économie imbriquée entre nomades et sédentaires est devenu un terrain de chasse à l’homme pour armée et milices qui s’illustrent par des exactions d’une cruauté sans limite.
De quel syndrome souffre le Mali ? Est-ce celui du colonisé s’appropriant de façon mimétique le pouvoir, les manières et l’idéologie de l’ancien maître ? L’ex-puissance coloniale a toujours veillé à mettre en place des chefs d’État qui lui soient favorables, elle a fermé les yeux sur la corruption, la violence et la maltraitance qu’ils exerçaient contre leur peuple, pourvu que les intérêts français soient préservés. Cette culture de l’impunité a formaté les élites politiques du continent. Mais le lien entre l’ex-puissance coloniale et les nouveaux États est plus intime encore car de nature organique : il touche à la création et à la constitution même de ces entités politico-territoriales nées dans les années 1960, à leur mode d’organisation et de fonctionnement copié sur le centralisme français, à leurs frontières dessinés par l’avancée des troupes coloniales venant d’Alger ou de Dakar, à leurs institutions, à leur idéologie évolutionniste, à la méfiance si ce n’est à la peur héritées du temps de l’occupation coloniale, contre les groupes sociaux qui ont résisté à l’Empire (ce qui n’était d’ailleurs pas le cas de la région de Kidal). Voilà le paradoxe absolu de ces États et de leur personnel politique formé par et pour les intérêts d’une puissance extérieure.

La rhétorique coloniale fondée sur une vision raciale, ethnique et tribale de l’Afrique a été reprise intégralement par les autorités et la plupart des media maliens à chaque crise politique. Elle a conduit dans les périodes de conflit à une véritable obsession touarégophobe, amalgamant toute la population touareg dans un schéma de rébellion génétique. Cette propagande a dérivé en slogans prônant l’extermination de « l’ennemi de l’intérieur ». De nombreux appels au meurtre ont été ainsi relayés en toute impunité par la presse malienne et les réseaux sociaux, particulièrement actifs depuis 2012. [8] Quant aux membres de la société civile ou des partis politiques qui ont eu le courage de protester contre cette gestion mortifère des conflits, ils ont été menacés par le pouvoir et ses soutiens inconditionnels pour qu’ils se taisent.

L’État du Mali reste plus que jamais prisonnier de son héritage colonial. Sa pensée politique est calquée sur un modèle d’État à la fois centralisé et autoritaire, incapable de penser la diversité et de se construire en l’intégrant. L’armée nationale a repris contre les civils les pratiques sanguinaires de répression des corps de l’armée coloniale regroupés sous le nom de « Tirailleurs sénégalais » et a été conforté dans ces méthodes par la milice russe Wagner. Cette logique qui prône la violence plutôt que le dialogue n’a abouti jusqu’ici qu’à creuser les fractures entre les différentes composantes de la population. Dans ce contexte, l’instauration militaire de la « souveraineté de l’État sur l’ensemble du territoire national » est un leurre passager qui conduit plutôt à la dissolution du « pays » en tant qu’ensemble se reconnaissant comme tel. Ce n’est certainement pas l’inféodation à un nouveau maître qui changera le processus d’autodestruction du Mali – pas plus d’ailleurs que chez ses voisins sous la coupe de pouvoirs putschistes ou dictatoriaux –, tous engagés dans le chaos des représailles aveugles contre leurs populations, ouvrant ainsi la voie à l’expansion jihadiste.

HCH
15 novembre 2023

La source


[1] Pour ne citer que quelques exemples : 20 mai 1991 à Léré, exécution extrajudiciaire par l’armée de 50 Touaregs et Maures ; 14 mai 1992 à Gossi, 12 Touaregs travaillant pour une ONG norvégienne assassinés par la gendarmerie locale ; 21 avril 1994, environs de Menaka 4 à 12 civils touaregs exécutés (Amnesty International) ; du 12 au 29 juin 1994, à Tombouctou et aux environs, 455 victimes civiles nominalement identifiées (Enquêtes préliminaires regroupées sur les massacres de Tombouctou, Association des réfugiés victimes de la répression de l’Azawad, Nouakchott) ; 23 octobre 1994, Inelfis, 51 Touaregs massacrés par la milice Ganda Koy (’Bilan de I’attaque de Gao’, Ataram, n.d), etc.
Voir également la presse malienne : « Le lieutenant Abdoulaye Cissé dit Blo, le tueur de Ber, démasqué », L’Union, 19/7/94 ; « Tueries sauvages au Nord », L’Union du 5/8/94 ; « Horreur à la rwandaise », Le Républicain n° 100, 10/8/94.
Parmi les nombreux témoignages recueillis sur ces terribles années 1990, voir Touaregs. Voix solitaires sous l’horizon confisqué, Survival International, Ethnies-Documents 20-21, Paris, 1996, https://shs.hal.science/halshs-00293895/document

[2] Massacre de Moura, au moins 500 morts, voir https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/05/29/massacre-de-moura-au-mali-ce-que-l-on-sait-des-deux-militaires-sanctionnes-par-les-etats-unis_6175335_3212.html

[3] Notons que la presse internationale, sans aucune vigilance critique, appelle désormais « rebelles » de l’Azawad les signataires de l’Accord d’Alger.

[4] Selon Mondafrique (28/06/2023, https://mondafrique.com/decryptage/et-si-les-mercenaires-de-wagner-quittaient-le-mali/), les autorités de Bamako « verseraient chaque mois entre 7 et 9 milliards de Francs CFA, soit entre 7 et 9 millions d’euros. Au départ, comme en Centrafrique, Wagner devait se payer sur les ressources du pays et des mines devaient leur être attribuées, mais les négociations n’ont pas abouti ».

[5] La milice Wagner a été accusée par de nombreux témoignages d’actes de torture, de viols et d’exécutions sommaires en République centrafricaine, au Mali, en Ukraine, en Syrie. Son inscription sur la liste des organisations terroristes a été réclamée par Londres, et plus récemment par Paris. Voir Assemblée Nationale, résolution 111, 9 mai 2023 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16t0111_texte-adopte-seance#

[6] Englobée en 2021 dans le Cadre stratégique permanent pour la paix, la sécurité et le développement (CSP-PSD)

[7] Il faut rajouter au surarmement de l’armée (voir http://news.abamako.com/h/261263.html) la contribution aérienne des juntes voisines (Niger, Burkina Faso) liées au Mali par un accord de défense signé le 16 septembre 2023 (Alliance des Etats du Sahel).

[8] Voir par exemple en 2012 (La Voix du Nord) : « Balayons toute présence nomade de nos villes et villages, de nos terres même incultes… Refoulons les nomades dans les sables de l’Azaouad… Organisez-vous, armez-vous, levons l’armée du peuple qui seule peut abattre l’ennemi ». Ou les commentaires relayés par Malijet : « S’il faut passer par l’exemple du Rwanda pour être unifier [sic] moi je suis partant et sans craindre la CPI [Cour Pénale Internationale] ou autres conneries du même genre » (signé dla8y, 06/04/2012) ; « J’ai la solution pour le problème touareg. Ouverture de fours crématoires pour les femmes touaregs enceintes » (signé Sekoubko, 1/02/2013).

Notre Muhand, nous refusons de t’oublier !

22 décembre 2013. Il y a 10 ans, disparaissait Muhand Saïdi Amezian à l’âge de 49 ans. Artiste-peintre engagé, calligraphe, caricaturiste et militant infatigable de la cause amazighe, Muhand était de tous les combats du Mouvement amazigh associatif et étudiant.

Né à Aït Tidjit en 1964, cet enseignant de l’éducation plastique au collège d’Imteghren (Errachidia) a voué sa vie à la défense de l’identité amazighe. Muhand avait défié la répression et l’intimidation, avait fait le choix de ne pas se taire, de dénoncer, de peindre, de calligraphier, de caricaturer en toute liberté. Il s’exprimait sans crainte.
L’engagement de Muhand a commencé alors qu’il était lycéen en 1987 avec le premier contact effectif et affectif avec la graphie amazighe qu’il découvre. Après des années de persévérance, de voyages, de lectures, de rencontres et de recherches, il a réussi à faire de Tifinagh un formidable outil d’expression.

Muhand est décédé en 2013 des suites d’un cancer, laissant un vide béant surtout dans le Tafilalet. Il était très proche des milieux estudiantins à l’université d’Imteghren, de Meknès (Fazaz) et d’Oujda (Rif) où il était invité à chaque activité. Il exposait et animait des ateliers de calligraphie. Il était un homme généreux et accueillant. A Imteghren où il habitait, sa maison était un refuge, une sorte de « passage obligé » pour beaucoup de militants, surtout parmi les étudiants et les chômeurs.

Je garde de lui l’image d’un grand ami déterminé, souriant et affable. Un sac rempli de feuilles de dessins, de carnets de notes, de crayons et de feutres en bandoulière. Prêt à partir. Il dégaine un crayon à chaque occasion. Il crée comme il respire.

Chez lui est un joyeux capharnaüm. Des centaines de dessins, de tableaux, de livres, de magazines, de projets non achevés, de calligraphies,… Muhand vivait son art, mais ne vivait pas de lui. Il l’offrait.
Muhand était très apprécié à Imteghren. Sa perte est vécue comme une tragédie. Il a marqué toute une génération d’une encre indélébile. Son engagement était sincère et marquant. Deux groupes de musique lui ont consacré des chansons d’hommage : Tamazgha Voice et Tagrawla.
« Je verserai des larmes du sang. A chaque évocation de Muhand Saïdi Amezyan (…) Imazighen, chérissez son souvenir « , chante Tagrawla.

Nous le chérissons. Nous ne l’oublions pas ?

Aksil Azergui

Autres articles sur Feu Muhand :

Muhand Amezyan Saïdi n’est plus !

Muhand Amezyan Saïdi, une vie dédiée à la défense de l’identité amazigh

Muhand Saidi : L’art est liberté et n’agit que dans la liberté …

Muhand, l’artiste au grand cœur !

Hommage à Muhend Amezyan SAÏDI

Ger tilawt d twargit

« Aɣrum n Yihaqqaren » n Aksil Azergi

Ungal-a, da isawal ɣef yan uneɣmas ittyassnen s tirra-nnes ɣef tudert d umezruy n yimezdaɣ n udrar ameq°ran, g imagraden-nnes itteffɣen g yiɣmisen. Ass mi d-iffeɣ seg ukurmu, yufa-d imarawen-nnes mmuten ur ten-d-issakel, iqqim min tawacult.

Yuzen-t umeddak°el-nnes Markus s ɣur Aksil nna igan ameddak°el n baba-s, Aksil illan g yiɣrem n Tgedrin. Idda iqqim ɣur-s allig iswanfa, iɛent-as abrid s adrar ameq°ran, acku ar irezzu ɣef ka n umsedrar as-ittalsen tamacahut n tudert-nnes ad ɣif-s isiwel g wungal-nnes. Iswanfa ɣur-s ar tifawt, issken-as abrid ɣer iɣrem n Uwrir n Yimzilen. Iddu.

Iney ɣur Sekku g tmirsidist-nnes ittenherwilen ɣef ubrid. G ubrid ikti-d temẓi-nnes ar deg-s iswingim, allig nn-beddan ɣef wuggug n yimesulta. Imsawal id-sen Sekku, ttren-asen tikarḍiwin-nnsen, allig t-inn gulan, suggzen-t, kksen-as tissufra-nnes afen-nn ɣur-s kra n yedlisen d yitsent tesfifin n tkabart n “Imesdurar”, ar t-seqsan mani-nn ira ? Ma s idda ? Inna : “nekk d aneɣmas, riɣ ad uruɣ ɣef udrar, ɣef izerfan n uwdan g tmurt-nneɣ…” irar-as umsalu n wis da neqqan ineɣmasen ur da ttaǧǧan anaɣis-nnes ad yili, dinna g ufan ca n uneɣmas ad tkenfen. Inna ger-as d iɣef-nnes “yuf is ssbeɣseɣ iman-inew, mmten d argaz ula asen-festiɣ”, irura-yasen awal, inna: “aǧǧat-i, ur riɣ ad geɣ winnun ula tgam winnu !”.

Ar itteddu imiḥ yaf yiwen umsedrar isem-nnes Meksa, inna-yas : “mecta aya ɣif-k rezzuɣ, xseɣ ad tiliḍ ger medden nna ɣef aruɣ ungal-inu”. Ur iri Meksa ad as-yumu g wungal, ur iri ad ittukref ger isekkilen-nnes. Ar as-ittales uneɣmas ayenna yad yaru ɣef imesdurar, ssiɣen afa g umerdul, ttin-asen wuccan ar ten-suguren. Ar isawal uneɣmas allig igen Meksa, yasi-d aɣanib-nnes d walug ibdu diɣ ar itturu, imik s imik ard ttenmilin wuccan, imaḥ yakey d iqqucan-nnsen icwan ar ttcerragen tafekka-nnes, netta igren tafriwin s afa ireẓ aɣanib, uɣul wuccan rulen. Uccan winin ur iḥmilen imesdurar, ula ran ad ittyara yiɣef n yinẓad ɣif-sen, ur rin tidet ad tettyara ula tt-issen ugdud. Aneɣmas seg wass g ibda tirra ɣef umrggaru g yimesdurar ayed tɣ°ebbez tilawt-nnes g wirga d yiniɣan d wuccan. Ayenna t-umẓen yimsulta ar t-seqsan ɣef mayed as-isseknen abrid ɣer udrar, ggzen ɣif-s s titwat, isx°ertem ur da ittrara i yseqsiten-nnsen, iggal ur izzenza Markus ula awd yan g yimeddukal-nnes.

Idda g ubrid, ibedd-nn ɣef Meksa g udrar hat immut, ur issin nebren wuccan tafekka-nnes, zellɛen-tt. Izrey Meksa g udɣar, yuǧǧa tafekka-nnes i ywaɣzniwen, iddu s iɣrem as-d-inmalan, ḍfaren-t allig nn-igula iɣrem n Uwrir n Yimzilen, wiyyha n unna t-iskecmen s ɣu-s ičča-t wafa. Kerfen-t s yan igejdi ammas n yiɣrem, deffir n uyenna t-id-ssafɣen ɣur yat temɣart tawessart g taddart-nnes. Nnan i wneɣmas yuf is tenɣiḍ neɣ tukreḍ ula tsawleḍ ɣef yimezdaɣ n udrar, itter-asen awal allig isawel. Tenḍud temɣart tenna “idetta wawal-nnes, mec tram ad ttenɣim, nɣat-i akid-s !”, teldi-d uzzal seg titar n yiwen g yiregzen, tebbey akarif i wneɣmas. Ifesta umɣar, ig diɣ uneɣmas ilelli. Ayenna iffeɣ ɣur temɣart, yameẓ abrid iddu, isal inarez ad yaf mami isselsa tamacahut-nnes.

Dat ad ikcem s iɣrem n Tinifsan, iffer tiɣawsiwin-nnes g wakal ddaw tseklut n tasaft, af-ad as ur yini awd yan aweṭḥaḥ. Iddu iseqsa g umeddak°el-nnes Akli, maca ur t-inn-yufi, nnan-as iffeɣ iɣrem, mlen-as iɣrem g ila, iddu ẓar-s. Ayenna t-yufa, yules-as mayed as-ijṛan allig iffeɣ dinnaɣ, issekcem yan umsebrid s taddart-nnes, ibedd id-s allig irul i yemsulta nna tiḍfaren. Inna i Wakli ad ɣif-s isiwel g wungal-nnes, maca ur iri.

G ubrid-nnes ɣer Agerḍ n Uẓru, imleqqay d yan urgaz g ubrid isem-nnes Iccu, smunen abrid acku ddan ak° s yiwen udɣar, inna-yas : “nekk da rezzuɣ ɣef ka n urgaz neɣ awd tameṭṭut izeddɣen ungal-inu”. Irar-as urgaz n wis ira ad yumu g wungal-nnes, imdez uneɣmas ar as-ittales i Iccu ayenna yar, maca ur tissusim uyenna fell-as yaru uneɣmas, acku ira ad as-isnem aḍu, iwḥel g wawal d usselku… inker-d tifawt hat iffeɣ Iccu tamacahut, issenker tirit ger isekkilen irul. Inker uneɣmas yaley ɣer adrar, netta nn-igulan yinniy-d Iccu izwar i wkabar n yiregzen, ddan s adɣar nna g zzrin iḍ is t-inn ur ttafan, bḍan ɣef tkabarin, ar t-ttnadan. Yufa yan ifri, iffer dig-s. Nadan-t allig yaɣ yiḍ, iɣal uneɣmas is ddan, iffeɣ-d yinney Iccu issaɣ afa ar ittɛemmaṛ atag, iddu ẓar-s, iɣal is walu ɣas netta, tta immxiben gan Iccu d tamdit s t-ttamẓen, ayenna s day iɣ°ejdem ttin-as iregzen. Izuḥ ikkes-d ajenwiy, isires-t i Iccu ɣef umegreḍ, issiwed-ten s menɣiwt-nnes mec ur ddin. Iddeɣ-asen intel inn-as i Iccu : “iwa mec triḍ ad id-sen tmuneḍ tedduḍ, triḍ ad nmun nekk id-k yallh !” imun id-s Iccu, ddun tanila n yiɣrem n Yiɣil n Yisemsiden, nitni t-inn-inmalan inniyen iserdasen hat tin-as, ar ten-sdiddiyen, irar-asen yiwen urgaz awessar awal, nɣin-t g udɣar, gin mulley i ymezdaɣ n yiɣrem, nɣan iregzen, tiwetmin, tislemyiwin… ur uǧǧin awd ccu : “tannayeḍ s wallen-nnek, ha n mayed ran, da ttafan amdaz ig da neqqar medden, ur rin mayed isawalen!

Iɣawel s iɣrem n Uwrir, ad asen-yales i medden isalan n udrar d Iɣil n Yisemsiden nna ix°lan, ur t-uminen tizwiri allig asen-yules tamacahut n yimesdurar. Iqqim ɣas netta, ildi-d diɣ alug-nnes ar itturu, imaḥ gnt-d ɣif-s tgaritin anbatri, zzwiɣen idammen-nnes tafriwin n walug g itturu. Imcuced, iffer ḍart yat tseklut, allig ten-yanney, izzuɣer tafekka-nnes ak° izegg°aɣen s yidammen, ad issenjem iman-nnes af-ad yales i wgdud tamacahut n yiɣerman. Yufa yan yifri ilɣes dig-s, maca iḍfar yiwen anaɣiz-nnes allig t-yufa. Camla inzeɣ-d ẓar-s amrig-nnes ad t-ineɣ, uten-t-id imesdurar g deffir, irẓem uneɣmas allen hat immut ufɣaniy nna iran ad t-ineɣ, imdez ur dd netta ayd immuten. Isnimmer-ten, kigan dig-sen imeḥḍaren g tesdawitin, munen sɣin imrigen, bedden ibeddi n yan urgaz ad nnaɣen mgal n Yifɣaniyen d yimeddukal-nnsen, ggallen s yiman n yiregzen ifkan idammen-nnsen ɣef tlelli n udrar, ttnaɣen ar d-yali wass. Yummer uneɣmas yasi-d alug-nnes, yuru s tirra tizurarin : “Asirem ilula-d deg yiɣed n yiɣrem n Yiɣil n Yisemsiden”, iger taɣuyyit inna : “Asirem ilula-d ilula-d !… ”.

Tawda ayed yuǧǧan amyaru allig iẓḍa ungal-nnes g twargit. Tawinest tamezwarut n wungal tga-tt : « Gneɣ… Ar twarageɣ is da ttwarageɣ ». Tameggarut « Zziɣ ɣas tawargit » ! Iddeɣ ur nɣiy ad nini ayenna nra, ar nettwarag, maka awed g twargit negg°ed i titiwat d i wallen n umexzen. Netta ira ad nwareg tiwargiwin ira, nek°ni nra ad nwareg s tlelli d izerfan. Teccar tidet d twargit g wungal. Da nzerrey seg yiwen s wayeḍ min ad nakey. Ur da nettisin is nella g twargit midd g tilawt. Acku amyaru da ittwarag is da ittwarag. Tawargit agensu n twargit. Awed agensu n twargit n twargit illa umexzen d usataɣ-nnes ittmran g yiman n medden.

Tin Hinan Zelmat

PARUTION : « LA GRANDE DISSOLUTION »

Comment un sport de combat comme le berbérisme est-il devenu une ferme de berbères d’élevage ? C’est à cette question qu’un collectif d’acteurs du Mouvement amazigh a tenté de répondre dans ce livre que nous avons le plaisir d’éditer à Azag N Wuccen.

Dans son livre « La Grande dissolution » (180 pages), le collectif « L’Avant Poste » traite sans aucune concession de l’histoire de la revendication amazighe à partir des documents de ce mouvement et des déclarations de ses « leaders » auto-proclamés. Il explique comment la monarchie marocaine a œuvré, depuis la création de l’Académie berbère à Paris, pour canaliser, dépolitiser, folkloriser et corrompre le combat amazigh afin de le vider de son sens. le but étant de dissoudre les Imazighen dans l’acide arabo-musulman et de les faire disparaître à jamais.

Ce livre collectif vous livre la contre-histoire du Mouvement amazigh.

Une copie ? Veillez nous contacter par e-mail (editions.cdl@gmail.com)

Vous pouvez l’acheter sur Internet en consultant ce lien.  

Autres livres ici

“Asekkif n yinẓaḍen” de feu Ali Iken, Premier roman d’expression amazighe au Maroc


Par : Baha Mansoub

Le premier février 2023, l’écrivain nous a quittés. Homme de lettres, militant infatigable des droits de l’Homme, feu Ali Ikken a largement participé à la sauvegarde de la langue amazighe de deux manières. D’abord par la collecte des genres oraux, en l’occurrence la poésie et le conte, et ensuite par la production romanesque en langue amazighe à un temps où Tamazight est reléguée aux oubliettes. Quelle place alors occupe de l’œuvre romanesque de Feu Ikken dans le paysage littéraire amazighe marocain?

  1. Un texte fondateur :

Dans un article[1] intitulé “LE ROMAN AMAZIGH DANS LE SUD-EST MAROCAIN : LEXIQUE ET LITTERATURE AU SERVICE DE L’IDENTITE”, Michael Peyron avance ceci :

« L’apparition au Maroc du roman (ungal) en langue amazighe avec sa beauté intrinsèque, sa richesse, a devancé le tournant du siècle de quelques années. C’est à ‘Ali Iken, originaire de la région de Talessint, que nous sommes redevables d’un ouvrage pionnier : “Asekkif n inẓaḍen” (1994), qui sera couronné du « Prix de littérature Mouloud Mammeri ». D’autres écrivains, militants amazighes influencés notamment par les acteurs de l’Association Tilelli d’Igwelmimen (mai 1994), lui ont emboîté le pas. Parmi ceux-ci : Ahmed Haddachi avec Memmis n ifesti d awal (2002). Ou encore Zayd Ouchna, lui aussi d’Igwelmimen, auteur d’Uddur n umur ; Zayd Uhmad (2006), écrit en langue amazighe en double transcription (tifinaghe et latine). Toutefois, le plus prolifique de ces écrivains du Sud-Est s’avère être Azergui, des environs de Tinejdad. En effet, il aligne trois romans : Aɣrum n Ihaqqaren (2004) ; traduit en français en 2012, Iɣed n tlelli (2012) et Imegurra g yimaziɣen (2014). Une fresque littéraire où l’auteur s’amuse non seulement à réinventer les rapports conflictuels des populations locales avec le Makhzen mais également à redorer le blason d’épopées de la résistance et de ses ténors que sont, entre autres, Zaïd Ou-Skounti, Zaïd ou-Ahmed. »

Ceci étant, la genèse du roman marocain d’expression amazighe est marquée par le roman « Asekkif n yinẓaḍen » paru en fragments dans la revue Tifawt le long de 1994 alors qu’il est déjà écrit en 1992. Le lecorat de la revue édité par le collectif TIFAWT (Il est composé de six personnes : Mohamed Ajaajaa, Mimoun Ighraz, Youssef Aggouri, Mohamed Chafik, Lahcen Oulhaj et Hha Oudadess et Lahbib Fouad qui se chargeait de la saisie et de la mise en page), dont plusieurs membres font partie de l’Association Asidd sous la direction du regretté Moha Ajeɛjaɛ, a sans doute bu le buvable “Asekkif n yinẓaḍen” au sens littéraire et non pas culinaire.

  • Le sens et la substance

L’intitulé “Asekkif n yinẓaḍen” se veut une expression idiomatique  attestée dans le parler amazighe des Ait Seghrouchen de Béni Tidjit. Il se compose d’un substantif + préposition + substantif. Paraphrasée, cette expression laisse dire un problème insoluble ou très difficile à résoudre. Une soupe aux poils ne peut être ni avalée, ni offerte ». Le titre fait allusion à la trahison qui est à la l’origine des échecs qu’a connus la tentative de créer des foyers révolutionnaires dans l’Atlas en 1973 par des groupes d’extrême gauche marxiste.

Le livre est en fait le carnet (voir les dates en tête de chapitres) d’un révolutionnaire, relatant la défaite de la guérilla et l’exil des maquisards en Algérie.

Thématiquement parlant, ce texte fondateur du roman marocain d’expression amazighe semble traiter de deux thèmes majeurs.

Dans un premier temps, il raconte l’histoire d’un groupe de révolutionnaires Ɛeqqa et ses camarades, adhérents d’un parti politique, en voie de transformation, du pacifisme à la lutte armée ; l’idée étant de transiter les armes vers les montagnes du Haut et Moyen Atlas et lancer leurs opérations.  L’extrait, ci-après, nous semble, à cet effet, révélateur et significatif :

 : “ “Tamara tesfadey tifekkiwin, tebrey ulawen n medden, tessasey-asen tudert ayen mi wer zḍaren. Ccfi n tuzzla yiweḍ adif, ssuq yessekmaḍ iḍudan, tabiṭalit teggut, tiwirga ftuttsent zdat wallen, taḍut ur yad telli ger iseksa, ssber yesmar, tilisa ger lḥeq d lbaṭel tban, tudert d lmut mqaddant idammen d abrid ɣer tafat, tafat nettiẓir-tt sdat wallen, asirme ittxitir g iqerra, tiwirga timaynutin gemmant, inaruqen sɣudan ssaḍfuten ussan n imal…”. (Asekkif : 19) La solution se trouve dès l’incipit dans la page 3 : “ lmut tuf-aneɣ tudet n ddel d tmara d laẓ. Wenna yettemtaten ad immet, wenna yettidiren ad yidir g lɛezz; amezruy ifukk ad yemmecteg”. Dans la page 40 : Tasarut akw n inidan amek llan ur telli ɣas g tawwurt tasertant… imrigen weḥdsen ayd izemren ad aɣ d nezɣen tilelli.” Nra an-nessew ifsan n tegrawla nna yessakin digsen cḥal n isegg°asen aya.”

Cependant le rêve tombe à l’eau et les protagonistes seront arrêtés avant même qu’ils aient tiré la première balle : “ yemmut wenna immuten, winna yellan g lḥbs llan, sulen ad dig-s ilin, ad dig-s sɛeddin tafsuy n tudert-nnsen… “Le narrateur-personnage Ɛeqqa originaire de Leqsiba, réussit à se sauver en se cachant pendant un mois et demi, chez l’ancien ami de son père, poète devenu Sheikh de la tribu : “ winna yerwlen ɣer beṛṛa ssenjmen ibeṭṭanen nnsen maca taɣufi n tmurt tmerrit-ten, anemri-nnes iberrey ulawen nnsen.” Ɛeqqa réussit à dépasser les frontières vers l’Algérie où il continuait sa vie en tant que vendeur de journaux dans un kiosque, laissant derrière lui épouse et enfants. La thématique ne se limite pas uniquement à la révolution politico-militaire, mais il traite également de la thématique de l’Histoire. L’auteur, à titre d’exemple, cite dans la page 41: « Ayenna ijṛan ijṛa; amezruy ur nɣy ad t-nessaɣul ɣer deffir. Amezruy ur ɣur-s anamk mec ur d nusiy zi dig-s timsirin anepg-issiɣin tafat deg ubrid.”(Asekkif :41)

Écrit en 1992, ce roman[2] traite, d’après la préface d’Ahmed Boukous, du statut de Tamazight et son caractère oral accentué par l’absence d’une reconnaissance institutionnel. A cet effet, le romancier  met l’accent sur l’importance de la parole, l’écriture et la lecture : “ Awal iẓẓay zund akal, ifferqc amm ubuqs n yemmak; imellul ilegg°aɣ zund aɣu-nnes, Izeggaɣ zund idammen n tmurt. Iberrkin amm tmara d xub n waḍu. Irẓag amm wul n iɛdawen. Imessus amm gar tamunt. awal ayenna trid digs ad t tafd. Netta amm tɛetriyt n uɛeṭṭar neɣ amm wedrar g tefsa; mayed igan tuga tella dig-s… Keyy tfestid nekk da sawaleɣ; d maci ɣas da sawaleɣ nekk ttaruɣ ayen sawaleɣ… d keyy tura da teqqard ayenna da ak-ttaruɣ.” (Asekkif :5)

Cet engagement envers la langue amazighe s’inscrit également dans l’exploitation ingénieuse que l’auteur fait des proverbes. Ainsi lorsque la révolution échoua : le narrateur résume la situation par un ensemble de proverbe : « Nekk nniɣ » tillit n tegrawla tewa ɣer aman,  aderɣal, ibḍa d uɛekkaz nnes » « alɣem nenḍu-t urta igni » « wwetan agh ɣef walim d yirden » «neggunn nhuggem ancuc n welghem maca ur d iḍri » « baɛeddi ur ittci ibawen Baqqas ur degs uffen »  nra a nessut anẓar war isignu » ḍfaren agru allig yughal d ifigher » « ad ur tessiliyd aman i wsawen » « ad ur tesmund snat g titar » (Asekkif : 53-54).

On peut également y lire un conte intelligemment introduit alors que Ɛeqqa arriva chez ɛemmi Hmad, ne savant pas de quelle manière lui avouer sa situation. Ne sachant plus si les liens de l’amitié sont toujours forts, Ɛeqqa fait appel au patrimoine oral : il s’agit du conte de célèbre personnage fort intelligent Baɛemran connu par ses izlan chants et ruses. Le narrateur-personnage avance :

Dat ad ak iniɣ ma seg d-ddiɣ, ma ɣer ddiɣ d ma g da ttedduɣ, riɣ ad ak qiseɣ yiwt tmacahut n Baɛemran :

Isawel-d  : Man degsent? Acku akw llant g ixef-inew.

Nniɣ-as, ssneɣ is tent-tessent. Maca amek da ttinin, timucuha llant ɣef sa (sept) n wudmawen. Keyy d amedyaz, tzemred ad tent-tisint ɣef mraw n wudmawen.

Neḍsa, imik rnuɣ g wawal-inew nniɣ : Baɛemran d yiwen urgaz aneɣẓan. Inna-i : d amusnaw, iwa xes ini qqis qqis, ini-yi hayyi da sseflideɣ ẓar-k, taɣḍeft inew d tmeẓẓuɣt-inew ɣur-s. Nniɣ-as : Yiwen wass g wussan n Ṛebbi, Baɛemran ma ila wass netta deffir actal-nnes, issiweɣ-t da d din g ilmuten d imerdal, llig tessawi tafuykt ɣer aɣlay yessekcem-t-id ɣer afrag. Tameṭṭut nnes tiḥellabin g ufus tḥaṭṭer-as-d mar ad ẓẓegn ulli, stin tinna settin mar ad asent-fkin cwi n temẓin. Llig t-id-tiweḍ iseqsa-tt ɣef memmitsen anida yella d may da iceqqel.

  • Tenna-as: ad ur ẓar-s tteqqled, ka n rrbeḥ ur inni ad t-ig amguf war tawuri, war tiɣrad.
  • Baɛemran isul iseqsa-tt .
  • anida-t?
  • tenna-as : ha-t-in g tgemmi netta d imeddukkal-nnes da tturaren lkarṭa d ḍḍama, udjiɣ-ten-inn ran ad ffɣen.

G yiḍ ikker Baɛemran ɣer afrag yawi-d yan izimmer iḍɣan igerrzen, iɣers-as yazu-t, ittel-t g ugertil. Llig d-yaɣul memmis ɣer tgemmi, iɣer-as yenna:

  • Qqim ad ak-iniɣ tenna ijṛan i babak. memmi amek da ttannayd zdat-ak yiwen umettin, nekk ay t-inɣan acku acku… Tura ddu ɣer imeddukkal-ik ɣer-asen-d yiwen s yiwen mar ad id-sen nemcawar xef wanɣi-ddeɣ.

Memmis n Baɛemran yegg°ed yexleɛ, imik iduy iffeɣ ad ig ayenna as-inna babas.

Llig d-ikcem umeddakkel amezwaru ɣur-s ireḥḥeb iss yales-as i wamek ijra wanɣi. Maca ameddakkel nnaɣ ineqqer imezgan nnes, yenna-as uhu uhu…

Ur i-yudji ɛemmi Ḥmad ad kemmleɣ awal. Inna-i : xes ini-yi may trit! (Asekkif : 46-47)

Ayant constaté que l’oncle Hmad a bien saisit le message, Ɛeqqa se sent en sécurité en avouant son aventure à l’issue de quoi l’oncle Hmad se décidé de le cachera pendant un mois et demi avant de l’envoyer à la frontière algéro-marocaine.

  • Quand le Roman est source d’inspiration

« Asekkif n yinẓaḍen » a connu plus tard une grande influence sur les futurs romanciers et romans notamment ceux du Sud-est marocain. De nos jours le nombre de romans publié au Maroc atteint plus de cent publications allant de plus cours récit (une quarantaine de pages) au plus long (Aduku n uḍar aẓelmaḍ n Ḥmad Awraɣ, 430 pages). Les romans publiés au Sud-est marocain dépassent la vingtaine.

Le premier cas de figure est le romancier le plus prolifique d’expression amazigh,  Aksil Azergi. Dans son premier roman « aɣrum n ihaqqaren » [le pain des corbeaux] publié en 2006, le lecteur averti ayant lu “Asekkif n yinẓaḍen” pourrait y déceler quelques intertextes. À commencer par le titre « aɣrum n ihaqqaren » (Composé à partir de Aɣrum n tbaɣra, un champignon, connu dans le Rif, qui tue le bétail qui le consomme), lequel titre constitue une imitation notoire de « asekkif n yinẓaḍen ».

Y figure dans dans la page 57 du roman aɣrum n ihaqqaren: “ Igellin a Iccu mer ur as-irwil seg tmacahut, iqqur tur-a g yifri. telsa tmeṭṭut-nnes tilbeḍt.” Ce passage rapelle le passage : “ Uzlan d tseksit-nnek ad ten-nessekcem g tmacahut-nneɣ. Ɛli yessewraɣ ẓar-s taḍsa yenna : ddu ad tnebbegd ad mmteɣ s laẓ mar ad tidir tmacahut-nnek.” Asekkif: 12).

Azergui écrit à ce sujet :

“Ali Iken, pionnier dans la création romanesque dans le Tafilalet était pour moi un modèle. Un exemple à suivre. Je lisais son roman dans le magazine Tifawt (dont la parution a été interrompue sans que le roman ne soit entièrement publié). Il m’a beaucoup influencé. Ce roman était une « révélation » pour moi. Avant, il n’y avait certes des auteurs que j’appréciais beaucoup comme Omar Derouich, mais j’étais attiré par la prose et Iken (en plus de Lahbib Fouad avec ses nouvelles) m’ont ouvert la voie. J’avais enfin des exemples à suivre.

“Je rappelle que le roman était un genre très peu pratiqué par les auteurs en tamazight dans les années 1990. « Aghrum n yihaqqaren » était le cinquième ou le sixième romans à paraître sur le plan national.  (aghrum avait été publié d’abord en fragments dans le magazine « Tiziri » qui paraissait à Bruxelles durant les années 1990 et 2000 et dans « Amadal Amazigh » en 2001). Je peux dire que sans Iken, je continuerai à écrire de la poésie et de la nouvelle. C’est grâce à lui que je me suis initié au roman.”[3]

Une production tournée vers la poésie par la suite :

Ali Iken, en héritier d’illustres poètes amazighs de Tafilalet comme Amar Oumahfoud, Ouasta, Sakkou et autres, publie en 2006 « Alphabet des Flocons », un recueil de poèmes en langue française.  En 2011, il publie un autre recueil de poésie intitulé « Ma Frange, la voici / Haɣ ak tawnza ». Il s’agit de 130 izlan traduits en français. Ce sont des chants glanés surtout entre 1985 et 1987, auprès des femmes et des hommes d’Almou, un petit hameau de la vallée d’Aït Aïssa dans la province de Figuig.

Ali Iken publiait également des articles et des traductions en français de textes en tamazight dans la revue Francopolis.

Pour conclure, Ali Ikken, à l’image de Mammeri, Feraouen, Khaïerddine, Benhaqeïa et tant d’autres, est un militant et écrivain dont l’Histoire se souviendra pour toujours. Le roman “Asekkif n yinẓaḍen” restera un texte auquel consacrera l’histoire littéraire amazighe une place privilégié. Il est ce symbole qui inspirera pour toujours. Cependant, réécrire ce texte et le republier sera le meilleur hommage qu’on puisse rendre à feu Ali.

  • Bibliographie
  • Ali Ikken, Asekkif n yinẓaḍen, éd. IRCAM, Rabat, 2004.
  • Aksil Azergi, aɣrum n ihaqqaren, éd. Bouregrag, Rabat, 2006.
  • Michael Peyron, « le roman amazigh dans le sud-est marocain : lexique et littérature au service de l’identité » in La Boite à Documents « Études et Documents Berbères » 2017/1 N°37.

[1] La Boite à Documents « Études et Documents Berbères » 2017/1 N°37, pp. 149-157.

Edité en 2004 chez Ircam

[3] Entretien personnel via émail avec Aksil Azergui.