Le témoin imaginaire ou la lâcheté des médias français …

Les Touaregs, ces « hommes bleus » sont beaux, hospitaliers et accueillants lorsqu’ils étaient soumis et confinés avec leurs habits traditionnels sur des cartes postales qui font le bonheur de touristes avides d’exotisme et de désert. Mais, à partir du moment où ces mêmes « seigneurs de désert » ont fait le choix de porter les armes pour s’affirmer en tant que peuple libre et reconquérir leur souveraineté spoliée, ils deviennent soudainement des êtres « méchants » et infréquentables. Pire, des alliés de terroristes sanguinaires, eux qui se réclament laïcs et anti-islamistes.

A l’origine de cette situation, une intention malveillante de désinformation et de manipulation. La puissanteAgence France Presse et certaines chaînes françaises d’information continue ont parlé durant plusieurs jours successifs de « drapeaux noirs de l’AQMI flottant sur Tombouctou » et de liens entre le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) et les groupes terroristes. Les quotidiens et les magazines leur emboitent le pas, sans sourciller et sans vérifier, violant ainsi l’un des premières leçons apprises dans les écoles de journalisme.

La source de ces informations : des « témoins ». Oui des « témoins » imaginaires. Mais, de quels témoins s’agit-il en réalité ? Sont-ils crédibles ? Aucun média n’a vérifié. Ils disposent pourtant d’énormes moyens financiers et techniques pour aller sur place afin de rendre compte de la véracité des informations « recueillies » à partir de Bamako ou de leurs bureaux à Paris.

Comment ces médias peuvent prétendre informer les citoyens, alors qu’aucun d’entre eux n’a d’envoyés spéciaux ou de correspondants dans l’Azawad ? Comment informer sur la situation au Mali, alors que les seules sources citées sont le Quai d’Orsay ou de vagues « témoins » à Tombouctou, Gao ou Kidal « contactés par téléphone ».

Le Mali, ou ce qui en reste, n’est pas loin. Pourtant, la plupart des journalistes ont choisi la voie la plus courte, la plus facile, celle de la lâcheté et du mensonge éhonté.

Cette désinformation n’avait qu’un seul but : discréditer le combat du MNLA pour l’indépendance et inciter les puissances occidentales à intervenir sous couvert de la lutte contre l’AQMI pour écraser un peuple amazigh qui se veut libre et maître de son destin sur sa propre terre.

Lhoussain Azergui

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«Arabiser, c’est déberbériser la Kabylie». Pour l’anthropologue Tassadit Yacine, le pouvoir veut diviser les Algériens.

Anthropologue, Tassadit Yacine enseigne à la Maison des Sciences de l’Homme à Paris. Elle est directrice de la revue d’études berbères Awal, fondée en 1985.

Déchirée entre plusieurs identités, plusieurs langues, la société algérienne est-elle schizophréne?

Cette schizophrénie s’explique en tout cas par l’histoire de l’Algérie et du pluralisme linguistique dont elle a hérité: la berbérité, qui la relie à son histoire ancienne préislamique et africaine, a modelé son histoire pendant plusieurs millénaires et jusqu’à l’arrivée des musulmans au VIIe siècle; l’arabité, qui la relie à la religion mais aussi à son histoire avec l’Orient; et enfin la francophonie, qui lui fut imposée par la colonisation. Le berbère et l’arabe, langues maternelles, et le français sont, à des degrés divers, constitutives de l’identité algérienne. Ce qui est en revanche problématique, c’est la gestion de ce pluralisme par les autorités depuis l’indépendance en 1962. Au lieu de pousser dans le sens d’une harmonie, d’un compromis entre ces trois dimensions, elles ont toujours posé le problème en termes d’affrontement et tenté d’exploiter, surtout dans les périodes de crise, ces différences pour dresser les Algériens les uns contre les autres et se poser ainsi en arbitre entre les différents groupes au nom de la sauvegarde de l’unité nationale.

Comment expliquer la crispation des autorités sur la question de la langue?

Ceux qui connaissent l’histoire de l’Algérie et de la revendication pourtamazigh (la langue berbère, ndlr) ne peuvent s’étonner de la réaction du pouvoir qui est constante. Les propos tenus aujourd’hui sont ceux entendus en 1963, quand on a sciemment dénaturé la revendication démocratique qu’exprimaient les maquisards menés par Aït-Ahmed en Kabylie en la faisant passer pour un séparatisme. Les mêmes aussi qu’en 1980, quand on a transformé en contestation politique la revendication avant tout culturaliste des lycéens et étudiants qui, lors du «Printemps berbère», ne réclamaient que la reconnaissance de leur langue. Le fait que le pouvoir réponde par le mépris, voire la répression, ne peut que conduire à une politisation et à une radicalisation. Car quoi de plus légitime que de revendiquer sa langue et sa culture, parties intégrantes de l’histoire et de l’identité de la nation?

Cette radicalisation en Kabylie ne risque-t-elle pas de se retourner contre une région souvent présentée comme moins «algérienne» que le reste du pays?

Dans la situation actuelle, tout est possible compte tenu de la volonté des autorités de diviser les Algériens en factions, comme on a déjà pu le voir s’agissant d’autres mouvements. En cela, le sort réservé aux Berbères n’est guère différent de celui fait aux mouvements de femmes que le pouvoir a utilisé et mis en avant pour se donner une façade de modernité, sans rien changer, par exemple, au code de la famille. Jusqu’à la mort de Matoub, la population kabyle a fait preuve d’une patience et d’une maturité politique étonnantes: elle n’a cessé de dénoncer le terrorisme sans basculer dans la violence. Si elle en est arrivée à manifester sa colère contre l’Etat et ses représentants, c’est parce qu’elle s’est toujours sentie humiliée et bafouée, aucune promesse sur la reconnaissance du tamazigh n’ayant été tenue. Dès lors, comment des couches importantes de la population, dont on refuse de reconnaître l’identité, pourraient-elles ne pas se sentir exclues de l’édification nationale?

Existe-t-il en Kabylie un risque d’affrontements plus larges, et donc de dérives incontrôlables?

En Kabylie comme partout en Algérie, il y a deux générations de culture très différente: la première qui a connu la guerre d’indépendance est sans doute plus encline à réaliser la synthèse culturelle qu’impose la diversité du pays; la seconde est beaucoup plus radicale d’autant qu’on a toujours refusé de prendre en compte sa différence au nom de l’unité de la nation. Cela dit, il n’est pas étonnant que, dans la situation actuelle, des manipulations de toutes sortes viennent jeter de l’huile sur le feu et aggraver la confusion pour désigner cette population comme antiarabe ou antimusulmane, ce qu’elle n’est pas. Si des jeunes refusent d’être totalement arabisés, c’est parce que l’arabisation telle qu’elle est faite exclut toutes les langues sauf celle parlée et imposée par un pouvoir inique et antidémocratique. Cette volonté d’arabiser est en fait une volonté de déberbériser et de soumettre une région traditionnellement contestataire, mais qu’on préfère accuser à tort d’irrédentisme. Imposer l’arabe officiel comme seule langue à un peuple qui parle l’arabe algérien, le tamazigh ou le français est un déni de la réalité qui montre une fois de plus la coupure entre autorités et population. La fragmentation de la société sur laquelle les autorités jouent ne reflète que leur absence de légitimité. Leur vulnérabilité provient du fait qu’elles se sont imposées par la force et se trouvent du coup dans l’incapacité réelle d’établir un consensus au sein duquel les différents groupes se reconnaîtraient et reconnaîtraient par là même leurs dirigeants. Cela dit, on met trop en avant les tendances les plus extrémistes du mouvement berbère au détriment des politiques et des intellectuels kabyles prônant l’unité du pays dans le respect de sa diversité. La manipulation d’une colère légitime entraînerait une dérive et une cassure dramatiques dans le pays .

Par GARÇON JOSÉ

6 juillet 1998

Source : Libération

ANALYSE : Business, profits souterrains et stratégie de la terreur. La recolonisation du Sahara

Terroristes, islamistes, trafiquants, preneurs d’otages, voleurs, violeurs de fillette, égorgeurs, usurpateurs minoritaires, indépendantistes illégitimes, aventuriers sans programme politique, activistes obscurantistes et quasi-médiévaux et, pour couronner le tout, destructeurs potentiels de manuscrits trésors de l’humanité… Le bon vieux scénario colonial de terreur barbare et de diabolisation des rebelles touaregs au Mali s’étale à la une, alors que la création de la République de l’Azawad vient d’être déclarée le 6 avril 2012 par le MNLA (Mouvement National de Libération de l’Azawad). L’aspiration à l’indépendance d’une population malmenée depuis cinquante ans par un Etat dont le caractère « démocratique » relève de la langue de bois est malvenue dans la zone saharo-sahélienne. Dans le tableau caricatural présenté à l’opinion publique, l’innommable demeure la revendication politique des Touaregs, systématiquement tue par les experts assermentés. Le motif du jihad islamiste vient à point nommé pour étouffer tout élément d’intelligibilité de la situation et légitimer la répression à venir du mouvement et peut-être, comme par le passé, les dérives génocidaires. Qui se souvient des milices paramilitaires maliennes qui, juste après les accords de paix signés entre la rébellion et le gouvernement malien en 1991, ont été lancées contre les civils touaregs et maures à « peau rouge », torturés, tués, décimés ou contraints à l’exil 1 , dans un silence international fracassant et sous le gouvernement même d’ATT, président du Mali démocratique, aujourd’hui détrôné par une junte militaire non démocratique ?

Le canevas jihadiste n’a rien de nouveau, il a été régulièrement brandi et activé, d’abord au sujet de la guerre anticoloniale menée par les Touaregs jusqu’à l’écrasement complet de leur résistance en 1919, puis à chaque soubresaut contre les régimes autoritaires des Etats postcoloniaux, mis en place en fonction des intérêts de l’ancien empire colonial. L’amalgame entre insurgés touaregs, islamistes et terroristes, sans compter les autres registres diffamatoires, est un raccourci commode pour éradiquer, sous couvert de lutte anti-terroriste, toute contestation politique de la part des Touaregs, toute déclaration ou action qui pourrait contrarier les intérêts des grands acteurs politiques et économiques de la scène saharienne. Les opposants sont d’ailleurs immédiatement pris en main par les services spéciaux des Etats à l’aide des dispositifs habituels : intimidation, diffamation ou corruption. L’un des petits cadeaux classiques et anodins que les services français ont toujours offert spontanément à leurs « amis touaregs » est un téléphone portable, satellitaire si nécessaire, directement branché sur les centres d’écoute 2

. Mais l’enjeu essentiel de la question saharo-sahélienne ne se joue pas à l’échelle locale. Il concerne l’économie mondiale et le redécoupage des zones d’influence entre les puissances internationales avec l’entrée en scène de nouveaux acteurs (américains, chinois, canadiens, etc) qui bousculent l’ancien paysage colonial. L’accès convoité aux richesses minières (pétrole, gaz, uranium, or, phosphates…) dont regorgent le Niger, la Libye, l’Algérie, et le Mali d’après des prospections plus récentes, est au centre de la bataille invisible qui se déroule dans le désert. Les communautés locales n’ont jusqu’ici jamais comptées en tant que telles, mais seulement comme leviers de pression qu’ont systématiquement cherché à manipuler les Etats en concurrence. C’est ainsi que les revendications politiques touarègues ont longtemps été contenues dans les limites strictes d’une autonomie régionale, d’ailleurs jamais appliquée par les Etats ; et c’est pourquoi l’autre manette d’action que représentent les islamistes est devenu une réalité saharienne. Par contre, la question des liens étroits qu’entretient la création des groupes islamistes au Sahara avec, au premier rang, l’Etat algérien, n’est pratiquement jamais évoquée. De même qu’un silence de plomb règne sur les interventions constantes des services secrets français, algériens et libyens pour contrôler à leur profit la rébellion touarègue, la divisant en groupes rivaux destinés à se neutraliser les uns les autres.

Sous la pression des nouveaux contextes politiques nationaux et internationaux, les mouvements insurrectionnels touaregs ont, de leur côté, fortement modifié leurs revendications et leurs axes de mobilisation, dans la forme comme dans le contenu. Ils sont passés d’un projet d’indépendance politique de tout le « territoire des Touaregs et de ses marges » (Kawsen) au début du XXe siècle, lors de l’insurrection générale contre l’occupation coloniale, à des revendications plus restreintes : en 1963, les Touaregs de l’Adagh se soulèvent contre le découpage frontalier (entre le Mali et l’Algérie) qui les privent d’une partie de leur territoire et les séparent des Touaregs de l’Ahaggar ; la répression par l’armée malienne contre les civils sera féroce, laissant des cicatrices indélébiles jusqu’à aujourd’hui et cette terreur instaurée contre la population sans défense fournira le modèle privilégié utilisé pour réprimer chaque nouvelle insurrection touarègue dans les Etats de la zone saharosahélienne. Dans les années 1990, les mouvements rebelles du côté nigérien autant que malien expriment une revendication d’autonomie régionale infra étatique qui ne remet plus en cause les frontières postcoloniales. Les mouvements nés en 2007 s’insurgent contre la mal gouvernance mais, en dépit de leur inscription dans l’identité nationale étatique – « Notre identité est Niger » déclare le 23 avril 2008 Aghali Alambo, responsable touareg du Mouvement des Nigériens pour la Justice –, ils sont accusés d’ethnicisme et de communautarisme. En février 2012, le MNLA, fondé par des Touaregs du côté malien et armé d’une force de frappe inédite suite à l’effondrement de la Libye, revendique clairement « l’indépendance de l’Azawad » et une ligne politique républicaine, laïque et pluri-communautaire. Un nouveau mouvement, Ansar Dine, dirigé par Iyad ag Ghali, surgit en mars 2012, alors que l’action armée du MNLA est déjà engagée : l’objectif d’Ansar Dine est religieux et sa tendance salafiste, visant à instaurer la sharia dans tout le Mali et l’Afrique de l’ouest. Iyad Ag Ghali s’exprime bruyamment dans les média et donne l’occasion aux responsables politiques internationaux de brandir à nouveau la menace islamiste comme étendard de terreur et argument qui légitimerait une intervention militaire soutenue par la communauté internationale.

La carte du péril terroriste dans la zone saharo-sahélienne est jouée. Le projet était déjà dans les cartons des Etats bien avant les événements actuels. L’existence d’al Qaïda au Maghreb est en effet un schéma qui s’ébauche en 2001 quand le Département de Renseignement et de Sécurité algérien (DRS) annonce que l’armée a abattu un combattant yéménite présenté comme un émissaire de Ben Laden cherchant à assurer la liaison avec le Groupe Salafiste pour la Combat (GSPC). Dans le cadre de la lutte anti-terroriste, les Etats-Unis promettent à l’Algérie une aide en équipement militaire qui tarde à venir jusqu’à ce qu’un événement opportun survienne pour sceller la coopération américano-algérienne : l’enlèvement en mars 2003 de trente-deux touristes européens dans le sud algérien par des membres du GSPC. Ce groupe est dirigé par Amari Saïfi, alias Abderrezak El Para. Mais l’itinéraire de cet ancien militaire algérien révèle de nombreuses incohérences 3 qui montrent qu’il s’agit plutôt d’un « agent infiltré du DRS » (Malti, 2008). Sur le terrain, les observateurs touaregs constatent que les ravisseurs se ravitaillent dans les casernes du sud algérien et que certains d’entre eux, croisés sur les pistes sahariennes, n’ont visiblement pas passé la nuit à la belle étoile. La capture d’El Para en 2004 par un petit groupe de rebelles tchadiens qui propose sans succès à l’Algérie, aux USA et à la France de leur livrer l’islamiste le plus recherché d’Afrique, montre que cet épisode n’entrait pas dans le scénario organisé de la traque des « terroristes » à travers tout le Sahara. C’est finalement la Libye qui se chargera d’extrader El Para vers l’Algérie. Le rapt des otages dont un groupe sera libéré contre rançon au nord du Mali après une étrange mise en scène d’affrontement armé, donne l’occasion au président américain Bush d’agiter le spectre d’Al Qaïda au Sahara et d’affirmer la nécessité d’étendre la chasse aux extrémistes, de la corne de l’Afrique à l’Atlantique.

La Pan-Sahel Initiative (programme d’assistance militaire américaine au Mali, Niger, Tchad et Mauritanie), élaborée dès 2002, devient opérationnelle en 2003 avec l’envoi de troupes américaines sur le sol africain. Cette coopération militaire s’étend en 2005 à tous les pays adjacents (Tunisie, Algérie, Maroc, Sénégal, Nigéria) et devient l’Initiative du Contre-terrorisme trans-saharien. Le Rapport sur le terrorisme dans le monde publié en avril 2007 par le département d’État américain, produit une carte explicite qui désigne comme « Terrorist Area » pratiquement toute la zone saharo-sahélienne, et en particulier celle où évoluent les Touaregs et leurs anciens partenaires économiques et politiques. Les routes caravanières et les axes de circulation habituels des familles sont inclus dans ce périmètre terroriste. Pour l’Algérie, seuls les espaces frontaliers avec le Maroc, le Mali, le Niger et la Libye, font partie de l’aire incriminée, alors même que les attentats islamistes à cette période précise ont tous lieu au nord de ce pays, et notamment dans sa capitale. Le rapport américain allègue que ces zones désertiques servent de refuge aux organisations terroristes défaites au Moyen-Orient. Selon le Département d’Etat, le GSPC qui aurait fusionné en septembre 2006 avec Al Qaïda – prenant le nom d’Al-Qaïda in Islamic Maghreb (AQIM) – « a continué d’être actif au Sahel, franchissant les frontières difficiles à surveiller entre le Mali, la Mauritanie, le Niger, l’Algérie et le Tchad pour recruter des extrémistes aux fins d’entraînement et de lancement d’opérations dans le Trans-Sahara et peut-être à l’extérieur. Sa nouvelle alliance avec Al-Qaïda lui a peut-être donné accès à plus de ressources et à un entraînement accru. »

Le rapport manie sans cesse la dichotomie simpliste et bien connue entre un monde civilisé et régulé par l’autorité étatique dont l’Occident aurait le monopole et l’espace sans foi ni loi des « tribus », aboutissant à des injonctions d’intervention au nom de la sécurité du monde. Le glissement entre supposition et réalité est opéré en 2008 par la presse américaine qui abandonne les « peut-être » du Rapport du Département d’Etat américain. La traque de « Al-Qaeda in the Islamic Maghreb (AQIM) » par les forces armées américaines au Sahel devient une évidence indiscutable, de la même façon que s’instaure insidieusement l’idée que le groupe islamiste serait aidé par des : « tribus nomades connues sous le nom de Touareg, un groupe ethnique berbère qui est en lutte avec le gouvernement du Mali » et d’autre part que sa trésorerie serait assurée par le trafic de drogue (Daniel Williams, in Bloomberg.com, 23 avril 2008).

Le compactage commode opéré entre ‘islamistes / terroristes /Touaregs /nomades / trafiquants’ dessine ainsi une « zone de non droit » livrée aux « tribus », et donc à l’anarchie, au désordre, à la délinquance. On retrouve ici la sémantique et le schéma appliqués entre autres à l’Afghanistan par les autorités américaines, avec le succès que l’on connaît.

Entretemps, l’ancien GSPC devenu Aqmi se développe au nord du Mali. Le successeur d’El-Para à la tête d’Aqmi est un autre algérien du nord, Mokhtar Belmokhtar. Grâce à la rançon obtenue en échange des otages, il s’assure des complicités locales dans l’Azawad en milieu arabophone et aurait pris épouse chez les Maures de Tombouctou. Il s’insère notamment aux réseaux de contrebande de cocaïne que les Etats ou du moins des personnes haut placées dans l’appareil étatique laissent opérer entre Mali, Mauritanie, Sahara occidental, Algérie, Niger, Libye, tant les bénéfices perçus sont juteux. Plusieurs brigades d’Aqmi sont identifiées dans cet espace, nanties de véhicules lourdement armés qui se déplacent au grand jour sans se dissimuler. Ces groupes qui ont établi un lien direct avec Al-Qaïda échappent à présent au contrôle de l’Algérie. En 2007, les services algériens auraient même tenté de faire assassiner Belmokhtar par des éléments de la rébellion touarègue 4

Iyad ag Ghali, ancien chef de la rébellion touarègue des années 1990, travaillant ensuite au profit du gouvernement malien, a été en 2004 le médiateur principal dans l’affaire des otages enlevés par Aqmi. Il aurait alors été chargé d’ « infiltrer les groupes d’Abou Zeid et Belmokhtar via la Katiba Ansar Essuna selon un plan bien établi avec les services secrets maliens et algériens » (Ansar 2012). Assumant des fonctions diplomatiques en Arabie Saoudite pour le gouvernement malien, il se rapproche des courants salafistes et des soutiens financiers lourds qu’ils procurent. Le 18 mars 2012, après les premiers succès significatifs du MNLA dans l’Azawad, il apparaît à la tête de son nouveau mouvement appelé Ansar Dine, spécialement créé pour diviser le front indépendantiste et « le dégarnir en hommes » (Ansar 2012). On a à faire, en somme, au traitement habituel des dynamiques insurrectionnelles par les services secrets, travaillant toutes les lignes de fractures possibles. Sauf que le schéma tribal sur lequel s’appuient ces stratégies d’affaiblissement du MNLA ne fonctionne pas exactement comme l’imaginent ou comme ont systématiquement essayé de l’instaurer depuis 1990 les artisans de la division.

Les informations alarmistes qui circulent sur les islamistes qui auraient chassé le MNLA et seraient sur le point d’imposer la sharia jusqu’à Bamako font partie du schéma de terreur, manipulé par les Etats en vue d’obtenir le soutien de l’opinion publique internationale pour justifier une intervention militaire musclée destinée à éradiquer le « Danger » qui en fait, pour leurs intérêts, serait au nord plus indépendantiste qu’islamiste.

Derrière la poudrière saharienne et ses imbroglios inouïs dont je n’ai évoqué qu’un très petit aspect, se profile l’échec cuisant des Etats postcoloniaux dits indépendants et de leurs élites, modelés spécialement pour préserver les intérêts pharaoniques des puissances internationales anciennes et montantes, au détriment complet de leurs peuples, souffrants, réprimés, brisés, manipulés, interdits de voix, d’espoir, de futur et dont le désir de vie se transforme peu à peu en désir de mort, pour des soulèvements à venir de plus en plus désespérés.

Hélène Claudot-Hawad, 6 avril 2012

[1]

Notes

[1] 1 Voir CLAUDOT-HAWAD Hélène et HAWAD (eds.), Touaregs. Voix solitaires sous l’horizon confisqué, Ethnies, Survival International, Paris, 1996

2 Pour les interventions de la DGSE dans le dossier touareg, voir SILBERZAHN Claude et GUISNEL Jean, Au cœur du secret. 150 jours aux commandes de la DGSE, 1989-1993, Fayard, Paris, 1995.

3 Voir à ce sujet notamment MALTI Hocine , Les guerres de Bush pour le pétrole , Algeria-Watch, 21 mars 2008 ; BENDERRA Omar, GÈZE François, MELLAH Salima, , « L’« ennemi algérien » de la France : le GSPC ou les services secrets des généraux ? », Algeria-Watch, 23 juillet 2005 ; GÈZE François et MELLAH Salima, « Al-Qaida au Maghreb » et les attentats du 11 avril 2007 à Alger. Luttes de clans sur fond de conflits géopolitiques, Algeria-Watch, 21 avril 2007 ; KEENAN Jeremy, « The Collapse of the Second Front », Silver City, NM and Washington, DC : Foreign Policy In Focus, Sept. 26, 2006.

4 Voir ANSAR Issane, « Métastases du salafisme Algérien à l’épreuve des soubresauts sahariens et des rebellions Azawadiennes », blog Temoust, 2012.

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Ô soleil, tu n’éclaires plus mon cœur, (La France et la mine dans les chants des femmes Ait Atta)

Bref rappel historique : Le « marché aux esclaves» :

Les houillères du nord de la France ont eu recours au cours des années 1960 et 1970 à la main d’œuvre marocaine. Alors que la production du charbon touchait à sa fin, plusieurs dizaines de milliers de mineurs ont été recrutés dans le sud-est et le sud-ouest du Maroc, des régions exclusivement amazighes (berbères) par Félix Mora[1], ancien officier des affaires indigènes au Maroc devenu cadre des houillères et chef de service de la main d’œuvre étrangère du Nord-Pas-de-Calais. Cet homme marquera à jamais la mémoire collective des habitants de ces régions, notamment par ses méthodes de sélection.

Entre 1956 et 1977, quelque 78 000 jeunes issus de pauvres familles du Sud du Maroc ont été sélectionnés pour aller grossir les bataillons des gueules noires qui se déferlaient à l’époque sur le Nord de la France.

Durant ces années, les chefs de villages sillonnaient compagnes, déserts et montagnes et annonçaient en pompe l’arrivée des agents de recrutement des houillères et d’autres entreprises françaises. Cette offre était une issue pour des jeunes, sans ressources, affectés par l’appauvrissement agricole et pastoral du sud du Maroc dans les années 1960 et 1970. Ils affluaient vers les bureaux de recrutement pour s’inscrire et tenter l’aventure du départ. La France représentait pour eux de la magie et de l’espoir.

« Chaque jour, ils devenaient encore plus nombreux. Ils venaient pour recruter trois ou quatre cent, il en arrivait 5 000, 10 000 même, chacun de ses passages provoquait un déferlement»[2].

« Le monde ne manquait pas. Là où je ne pouvais retenir que trois cent personnes, sept à huit cent, voir mille se présentaient.»[3], raconte Mora lui-même. « J’ai au moins regardé dans le blanc des yeux d’un million de candidats.  Il m’est arrivé d’embaucher le père et le fils.» [4]

Les bureaux de recrutement des mineurs, dirigés par Félix Mora, ont été installés dans les locaux des autorités locales pour leur donner un caractère officiel. Les représentants du pouvoir central étaient également présents et suivaient l’opération avec grand intérêt. Malgré le scepticisme des anciens qui ont combattu l’armée française par des armes dans les monts légendaires de Bougafer et du grand Atlas, les jeunes célibataires, curieux et désireux d’améliorer leur niveau de vie ont choisi de « tenter leur chance » en s’exilant loin de leurs beaux et pauvres villages.

Les milliers de jeunes inscris ont été pris en photo pour la première fois de leur vie pour la plupart. Dotés d’un numéro, ils sont convoqués pour une visite médicale menée par une autorité médicale des houillères. L’objectif étant de sélectionner les plus aptes physiquement. Ce critère a valeur de condition sine qua non de la sélection. Les modalités de recrutement, très sévères, de ces mineurs rappelaient parfaitement l’achat des esclaves au temps de la traite des noirs. Un spectacle digne des temps anciens. Des milliers de jeunes ruraux, candidats passaient devant Félix Mora, le torse nu. Il examinait leur capacité à effectuer un travail de force, à savoir l’extraction du charbon des entrailles des mines. Il sélectionnait à partir de critères de santé et de l’apparence physique.

Les recrues doivent être âgées de 20 à 30 ans, peser 50 kg minimum, avoir une acuité visuelle correcte. La sélection médicale s’accompagnait d’un rapide interrogatoire sur les occupations professionnelles antérieures du candidat pour mieux cerner ses capacités à travailler à la mine.[5]

 Félix Mora examinait pratiquement tout. Déshabillés, les hommes sont soigneusement examinés. Une épreuve d’endurance figure également au menu de la sélection. Les recrues sont souvent laissées pendant 3 heures sous un soleil de plomb pour expérimenter leur aptitude de résistance à la chaleur de la mine.

Après ces examens, Felix Mora marque les postulants avec des tampons de couleurs différentes. Le tampon vert sur la poitrine vaut acceptation, le rouge signifie refus. Cette dernière couleur élimina les deux tiers des postulants. Après cette visite, les sélectionnés se rendaient dans un hôpital pour subir des examens médicaux approfondis prévus par la convention franco-marocaine de 1963. Les hommes, de parfaite santé, déclarés aptes à effectuer les plus pénibles des besognes, transitèrent par l’Office national d’immigration (ONI) à Casablanca et procédèrent à la signature d’un contrat de 18 mois, renouvelable par période de six mois, avant de prendre le bateau vers la France.

Arrivés à Marseille, après trois jours passés en mer, ils ont été convoyés par des bus au Nord Pas-de-Calais. En France, une nouvelle visite médicale plus sévère est effectuée. Au Nord, l’aventure de ces milliers de jeunes, aspirant à une vie digne sous d’autres cieux, devenait de moins en moins rose. Non loin du chantier, quatre mineurs partageaient un baraquement sans conditions d’hygiène. Des stages de formation et d’initiation aux techniques et aux risques du travail en mine sont donnés aux nouvelles recrues durant les premiers 15 jours de leur arrivée. Après la simulation, les hommes sont amenés aux fonds assistés par des anciens mineurs, ensuite, le mineur doit se débrouiller tout seul.

La totalité de ces ouvriers ont été affectés à l’abattage du charbon, un travail particulièrement empoussiéré qui les exposait au risque d’explosion et aux maladies professionnelles.

 «Chaque départ signifiait un fusil en moins»

Le choix des régions du sud-est et de Souss n’était pas fortuit. Il était dicté pour des raisons politiques. Entre les bidonvilles de Casablanca et les régions désertiques du sud du Maroc proposés par les autorités françaises, Hassan II avait choisi sans hésiter. Ce sera le sud.

L’immigration a toujours été instrumentalisée politiquement. Elle avait d’abord été utilisée par l’administration coloniale pour disloquer tous les liens sociaux, et vider ces régions de leurs jeunes actifs et résistants.

Déjà en 1918, le premier résident général, le maréchal Louis-Hubert Lyautey (1912-1925)  avait exigé que le recrutement des candidats à l’immigration en France soit exclusivement pratiqué au sud du Maroc, tout en interdisant les départs des marocains en provenance des autres régions «pacifiées ». Il visait par cette pratique à «pacifier les indigènes en leur prodiguant du travail rémunéré qui les arrache à la dissidence ». Le maréchal fixe aussi pour la première fois, les conditions de recrutement des candidats à l’immigration : « âge minimum vingt-cinq ans et maximum cinquante ans et recrutement exclusif dans le sud marocain.»[6]

Ces régions étaient un réservoir de main d’œuvre. Elles avaient fourni la presque totalité des travailleurs venus en France avant la seconde guerre mondiale. Joanny Ray[7]explique que «l’immense majorité des émigrés marocains appartiennent aux tribus du sud, presque tous berbères. (…) on peut estimer à 8 000 ou 9 000 originaires du sud le nombre de Marocains présents en France fin 1936. (…) Les autres parties du Maroc représentent une minorité pratiquement négligeable, de 5 à 8 pc.»

Parlant de ces émigrés, Ray écrit aussi : « Leur milieu est très inhospitalier, il est caractérisé par un climat aride, des superficies agricoles réduites, le morcèlement des propriétés. Ainsi se succèdent des années humides et des années de sécheresse réduisant ou élargissant les minces cordons cultivables qui exposent les habitants à des périodes de pénurie alimentaire. Aux difficultés économiques s’ajoutent des encouragements politiques ou administratifs : des directives, contenues dans une note du 23 mars 1918, font du sud marocain, la seule zone de recrutement des travailleurs coloniaux. Elles sont à l’initiative du général Lyautey qui voulait spécialiser le sud dans l’émigration sans dégarnir le Maroc utile. Car l’émigration était aussi un des moyens d’affaiblir la résistance du sud Maroc. Chaque départ signifiait un fusil en moins et chaque mandat une dépendance économique supplémentaire. De ce fait, face à ce contexte, l’émigration finit par devenir une alternative «naturelle » où il devient possible de gagner de l’argent.»

Dans ces villages «l’activité principale est (…) l’agriculture, l’élevage du bétail ou la construction des maisons (maçonnerie traditionnelle). Toutes ces activités valorisent la force physique et l’endurance. C’est pourquoi la valeur de l’homme se mesure à la capacité d’effectuer de pénibles travaux de force (…) Le milieu difficile et aride pousse les habitants à travailler durement, à ne pas gaspiller et à thésauriser. Il les conduit à désigner l’un des leurs pour un départ à l’extérieur, faisant de l’émigration une composante culturelle et collective.»

Au début des années 1980, juste après les émeutes du pain qui avaient secoué le pays en 1984, les autorités marocaines avaient également fait recours à l’immigration pour «vider » des régions entières du Rif et inciter leurs habitants à quitter le pays vers l’Europe. Des centaines de milliers d’amazighs du Rif immigrent alors en Belgique, aux Pays Bas et en Allemagne pour fuir la misère et la répression.

Voix des femmes :

Si les enfants amazighs rêvaient aussi d’aller à la mine à l’instar de leurs parents «avec une petite lumière sur la tête», les femmes étaient traumatisées par ce départ massif des jeunes de la région. Leurs chants tourmentés témoignent de l’humiliation qui leur a été infligée par Félix Mora.

 Le recrutement des mineurs se déroulait sous les regards inquiets des femmes. La plupart d’entre elles avaient vu un ou plusieurs membres de leurs familles partir sans pouvoir rien faire pour les retenir. Elles n’avaient que leurs voix. A l’écart des oreilles masculines, ces femmes chantent Timnadin, de très courtes pièces, tristes et mélancoliques, qu’elles improvisent lors de fêtes ou de rencontres. Elles donnent leur point de vue sur ce départ massif des jeunes. Elles se transforment en chroniqueuses. Leurs chants, malicieux, sont frappés d’une impressionnante sagesse. Ces femmes décrivent ce qu’elles voient avec une incroyable fidélité, critiquent, se moquent et conseillent aussi. Et se mettent dans la peau de ces jeunes et parlent de leurs craintes et de leurs angoisses.

Timnadin sont chantées uniquement par les femmes des tribus Ait Atta. On ne trouve pas ce genre de poésie nul par ailleurs. Il faut rappeler aussi qu’une poésie abondante d’expression amazighe, traitant de l’immigration a été également chantée dans le Souss et dans le Rif.

Poèmes :

 1- Idda-d Muγa s areḥbiy a Lqelεa

Istey izamaren izri ulli

Mora est venu à l’étable d’El Qelâa[8]

Il a choisi les béliers et laissé les brebis.

 

2-Idda-d Muγa s lbiru n Msemrir,

Yusi lbennar zrin-aγ ḥayati.

 Mora est venu au bureau de Msemrir[9]

Il a pris les plus précieux et nous a laissé les plus insignifiants.

 

3-Istey Muγa igiman kullu

Ur d-iqqimi γas ṭṭaleb d unna g ur illi wul.

 Mora n’a sélectionné que des bourgeons

Il ne reste que l’imam et les plus faibles.

4-Idda Ccabab dda fulkinin

Iqqim-d uzerdix, ittel-aγ aḍu.

 Les plus beaux sont partis

Les moches nous rendent la vie difficile.

 

5-Idda uciban ad ikkes tamart

Iddu-d Muγa izri-t ur ti-yuwiy.

 Le vieux s’est rasé la barbe.

Mora est venu mais ne l’a pas choisi.

6- A mad yan imdey ur as-tumiẓ,

Iεerra-ten Muγa, izri-t ur ten-yusiy.

 Combien d’hommes ont guetté le départ

Et Mora les avait déshabillés et délaissés!

7-Ttabeε azegzaw ayed newwaγ

Iwet-i s uzeggwaγ isferza-yi.

J’ai tant espéré être tamponné de vert

Mais le rouge m’a paralysé.

 

8-Ati gimt llebḍ a tirbatin

Iddad Muγa allig aγ ifdeḥ yuγul.

Ô filles, mettez le voile du deuil

Mora nous a humilié avant de partir.

 

9-A tafuyt ata ur da ttaγd ul-inu

Asmun izreb, akw ur nemsafaḍ

O soleil, tu n’éclaires plus mon cœur

Mon amant est parti sans même me dire «au revoir »

 

10-Nek ag illa yiγenka

Ima ajmil iga-aγ-ten Muγa.

L’anomalie était en moi;

Mora nous a rendu un service inoubliable.

11-Han awed ṭṭaleb yuwi-t Muγa

Llahrebbi a lejwamiε texwam akw.

Même l’imam a été emmené par Mora,

Pauvres mosquées, elles sont devenues vides.

12-Tut tirmi lured, walu εlaxir

Immet-i yiγejd. Awed Muγa ur aγ-iri.

La gelée a rasé mes roses. Je vis dans la disette.

Même Mora n’en veut pas de moi.

 

13- Wenna ur iddin s Hulanda

Σtun-as icirran

Mayed isskar ? iγwla qillu !

Celui qui n’émigre pas en Hollande alors qu’il a beaucoup d’enfants

Comment s’en sortira-t-il ?

Même le maïs est cher !

14-Hulanda bu luzinat walu degs ccarbun

Amaziγ a ten-ittafan.

Aux pays Bas, ils n’ont pas du charbon. Il n’ya que des usines;

Seul un Amazigh est capable de découvrir ce métal noir.

 

15-Wellah a Muγa a mer aγ-tgid acwari

Ttawid-aγ s jjbel ur ak-ttafaγ walu.

Je jure par Dieu que je suis prêt à suivre Mora

Même s’il me met un harnais sur le dos

Et qu’il m’oblige à traverser des monts.

16-Zzin d lwalidin aγef kkateγ

Allig i-tkid a jjbel i wayeḍ s Muγa.

C’est l’amour de ma bien-aimée et de mes parents 

Qui m’ont poussé à traverser des monts pour rejoindre Mora.

17-Ddarelbiḍa ag illa ssiwal n iεerrimen,

A Ddarelbiḍa ster γifi!

C’est à Casablanca que siège l’ange des morts qui jugera les jeunes;

Oh, Casablanca, protège-les!

18- A Bu CTM[10] d iddan talat

Ad ak ṛṛẓen izergan, iεmu ccifur.

Ô la CTM qui traverse la rivière

Que tes turbines se cassent et que ton chauffeur soit aveugle.

 

19- Idda lbabuṛ g waman tawada n ifiγer

Allig zlan asmun-inu.

Le bateau a serpenté la mer,

Mon bien aimé est égaré.

20-Taγ-i tγufi n zzin ur ta ddin

Daccen a lbabur ig ak-ifka aḍar.

Mon amant me manque alors qu’il n’est pas encore parti,

Imaginez ma peine lorsqu’il prendra le bateau.

21-Ar alleγ allig druγ ur ftiγ

Ass-lliγ g idda wadda riγ s Irumiyen.

J’avais tant pleuré à en mourir

Le jour du départ de mon bien aimé chez les chrétiens.

 

22-Amumeγ amumeγ giγ amm kemmin

Ah a tissmi s uyedda yaγen ul-inu.

Ce qui est arrivé m’a affecté

Et je suis amaigri comme toi ô aiguille!

23-Allah Rebbi a zzin

Ur iγiy i tafuyt wala lexdemt n Irumiyen.

Oh mon Dieu protège mon amant

Qui  ne peut résister ni au soleil ni au dur travail des chrétiens.

24-A Fransa tiḥergit ag tamud

Wenna nn-iddan iγer-d i wayeḍ a nn-iddu.

Ô toi la France, tu es ensorceleuse:

Celui qui te rejoint appelle d’autres au départ.

25- Fransa ayed igan iccki

Ima Merrakec, Ddarelbiḍa nmalan-i.

La France est au bout du monde.

Quant à Casablanca et  Marrakech, elles sont toutes proches.

 

26-Tzelleε tasa-nu taγ kull ddunit:

Ka Fransa, ka Warzazat, ka Tazarin.

Mon foie a éclaté. Ses fragments sont éparpillés

En France, à Ouarzazat et à Tazarine.

27-Awa Fransa ayed riγ awey-i ẓares.

A wadda riγ nga γifes amuḍin.

C’est en France où j’aimerai que tu m’emmènes oh mon bien aimé.

Et j’en souffre.

28-Fransa as bbiγ tiwriqin

Aliγ igenwan, zriγ arraw-inu.

J’ai préparé mes papiers pour la France,

Et j’ai traversé les cieux tout en abandonnant mes enfants.

 

29-Sameḥ-i a nnabi-nu mek xḍiγ!

Lemεict ad i-d-yuwin s Irumiyen.

J’implore ton pardon oh prophète!

C’est le besoin qui m’a poussé à aller chez les chrétiens.

 

30-A Bariz wenna t-id-ikkan

Σṣan Muḥemd, ddan s Irumiyen.

Celui qui part à Paris est un mécréant

Il a désobéi au prophète en partant chez les chrétiens.

31-A mma-nu ttedεu-aγ s lxir.

Ad ur-inn yili lleḥd ammas n Irumiyen.

Maman, implore Dieu

Pour que je ne sois pas inhumé parmi les chrétiens.

32- A mma-nu ttedεu-aγ s lxir.

Hat lliγ g lγar ad ur inḍer γifi.

Maman, implore Dieu

Je suis dans un trou. J’ai peur qu’il s’écroule et qu’il m’ensevelit.

33– A tabrat a mer giγ amm kemmin.

Ad uḍuγ g lbaliza n usmun-inu.

J’aurais aimé être une lettre

Pliée dans la valise de mon bien aimé.

 

34- Merday nufi mad aγ-as-yarun yat tebrat

i wayedriγ ister awal.

J’aurais aimé trouver quelqu’un pour m’écrire une lettre à mon bien aimé tout en gardant mon secret.

 

35- Awa rar s lxarij isur tufid ameddakkwel

A bu lidaɛa ssew-as iman.

Ô speakeur, donnes-moi les nouvelles de mon ami à l’étranger

Essaye de le convaincre pour revenir.

 

36- A Bu tbaγa ɛebri yan kilu

Ad tt-greγ i weḥrir-inu ayeddat isswan aya.

Donnez-moi juste un kilo de tabac, ô marchand !

Pour le mettre dans ma soupe. J’ai envie d’apaiser mon cœur.

37- Allaten a yirgel, allaten a tiṭṭ

Ur inni lbaraj ad-aγ ismun aman.

Pleure ô mon œil

Même un barrage ne retiendra pas nos larmes.

38-Ččan-d akw iserdan i Irumiyen

Ard d-ddun inin-ak nga ayt cciki.

Ils nous reprochent d’être insolents

Eux, ils ont mangé tous les chevaux des chrétiens.

 

39-A ayt lxarij a ayt lmal.

A widda igan imeddukkal n Irumiyen!

Émigrés fortunés,

Vous êtes les amis des chrétiens!

40-Mer da ttrara ssadaqa lεellat

Trard arraw, yan ad ur iddu s aḍu

Si la bienfaisance nous épargnait des malheurs

Elle aurait empêché nos enfants de partir.

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Par : Lhoussain Azergui

(Les poèmes ont été collectés, traduits et présentés par l’auteur) 

Notes :

[1] Né en 1926 à Croix dans le Nord. Mort en 1995.

[2] Marie Cegarra, la mémoire confisquée, les mineurs marocains dans le Nord de la France, Septentrion 1999, page :71

[3] Entretien avec Alain Coursier in Horizon 59, 16 décembre 1988 «Félix Mora, une vie au carrefour de milliers d’aventures humaines»

[4] Journal 20h00 Antenne 2, 29 juillet 1989

[5] Marie Cegarra, page 72, idem.

[6] Elkbir Atouf, « Les migrations marocaines vers la France durant l’entre deux-guerres» in Hommes et migrations N° 1247 Janvier-Février 2004

[7] Joanny Ray, Les Marocains en France, éd Maurice Lavergne Paris 1937

[8] Il s’agit ici de El Qelâa n Imgunn, une ville située dans la province d’Ouarazat

[9] Un village de montagne située dans la région d’Amedghus au sud-est du Maroc.

[10] La Compagnie de transports au Maroc.

Source : Néocultureamazighe

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Tinariwen : « Il y a un peuple oublié qui est en train de mourir au Mali »

Iyadou Ag Leche, bassiste du groupe de rock saharien Tinariwen, est assis dans la cuisine du vaste loft d’un label proche du Père Lachaise, à Paris. Bastien Gsell, leur tour manager, prépare le thé sur un petit réchaud de camping. Il y a quelques heures, Iyadou était encore entre les zones de combats au Nord-Mali et les camps de réfugiés du sud algérien.

Mi-janvier, il rentre du festival de Tombouctou avec d’autres membres du groupe. « Quand on est arrivé à Tessalit, ça tirait de partout. Alors on est parti en brousse rejoindre Ibrahim – l’un de fondateur du groupe – pour s’éloigner des combats. Ceux qui ont les moyens d’emmener leur famille à l’extérieur, en Algérie ou d’autres pays, l’ont fait. Ceux qui n’ont pas les moyens se sont éloignés des villes pour se mettre en marge, de peur des représailles. »

LES POPULATIONS DIRECTEMENT EXPOSÉES AUX COMBATS

La situation la plus catastrophique paraît pour lui être celle d’Aguelhoc. « Le campement militaire est dans la ville, donc les combats ont eu lieu dans la ville.
Les gens ont fui et ils sont tout autour, ils n’ont aucun moyen d’approvisionnement, ils se sont éparpillés. Aucune aide humanitaire et encore personne n’est arrivé à les aider. Les populations les plus en danger, ce sont les déplacés de l’intérieur. Ceux qui ne bénéficient de rien du tout, ce sont les gens des campements qui ne peuvent plus s’approvisionner. »

Prises au piège entre les différents groupes rebelles et l’armée malienne, les populations n’ont plus accès aux biens de première nécessité en provenance de Kidal ou d’Algérie. Elles sont directement exposées aux combats, comme le relate un communiqué de Médecins sans frontières : « Le 22 février, un campement de civils touaregs a été ciblé par un bombardement de l’aviation de l’armée malienne dans le nord du Mali. Les équipes de MSF et du ministère de la santé malien sur place ont pris en charge 11 blessés, presque exclusivement des femmes et enfants, dont une fillette qui est décédée de ses blessures. »

Avec d’autres amis, Iyadou fait des aller-retour entre le Mali et l’Algérie.« On a essayé d’aider les gens, de les mettre en sécurité. J’ai fait deux fois le voyage entre Borj et Tessalit. Tu croises des gens sur la route, qui n’ont pas de voiture, donc tu les emmènes. Quand je suis arrivé à Borj pour voir les réfugiés qui arrivaient, j’avais tellement mal que j’avais envie de regarder ailleurs, tellement ça me faisait souffrir dans mon moi profond. »

Le groupe Tinariwen en concert.

Le musicien trentenaire, qui était adolescent lors de la rébellion de 1991, l’a vécu avec sa famille. Il compare cette période avec la précédente période de troubles au Nord. « Nous avons l’impression que c’est mieux organisé, et qu’il y a plus d’union dans cette rébellion dans la population. Le mouvement est resté quatre mois dans les montagnes, en attendant de trouver une voie de négociation avec le Mali. Jusqu’à ce que le Mali vienne lui-même s’en prendre à eux, et c’est ce qui a déclenché les événements. C’était comme une surprise à laquelle on s’attendait un peu. »

Cela fait des mois que la tension monte entre les représentants des communautés du Nord-Mali et le gouvernement de Bamako. Incompréhension que les accords ayant mis fin aux précédentes rebellions ne soient appliqués qu’a minima, retard des promesses d’infrastructures et d’intégration dans l’armée des anciens rebelles. « Nous avons l’impression qu’ATT [Amadou Toumani Touré, le président] n’a jamais voulu régler ces problèmes. S’il voulait les régler, la manière la plus simple, c’était d’appliquer le pacte national et les accords d’Alger, ce qu’il n’a jamais fait. C’est ce qui a déclenché les problèmes qui ont suivi. »

>> Lire : « Violents combats, crise humanitaire et impasse politique au Nord-Mali »

« SI LES GENS ÉCOUTAIENT LES PAROLES DE NOS CHANSONS… »

Depuis des années, de nombreuses ONG, des diplomates africains et occidentaux et Tinariwen tentent d’attirer l’attention sur l’abandon du Nord-Mali. « Si les gens écoutaient les paroles de nos chansons, ces problèmes-là n’auraient jamais eu lieu. Si vous écoutez notre dernier album, les prémisses de cette question-là y étaient déjà. Nous avons tiré la sonnette d’alarme depuis longtemps. Le monde nous a oublié depuis cinquante ans, et mon message à la communauté internationale, c’est qu’elle jette un regard bienveillant sur notre peuple. Un regard d’humain à humain. Quelquefois, il y a des gens qui veulent nous faire porter des habits que l’on ne veut pas porter. Mais nous, on veut continuer à être les mêmes. Il y a des personnes qui utilisent les faiblesses ou les moments où les gens vont mals pour essayer de leur faire dire ce qu’elles ne disent pas, ou essayer de les faire mal voir par les autres, parce qu’elles ne veulent pas rentrer dans leur schéma. »

A mots voilés, ces habits, ce sont ceux d’AQMI [Al-Qaida au Maghreb islamique]. AQMI séquestre des occidentaux, mais coupe aussi la zone du reste du monde, empêche toute présence des ONG, journalistes et touristes, prend en otage les populations sahariennes. Une idée se répand, est répandue, selon laquelle AQMI et « les » Touaregs travaillent de concert. Les terroristes sous-traitent la livraison de carburants, de vivres, achètent quelques informations à des Songhay, Peuls, Bambara Haoussa et Touaregs. Menus revenus pour des jeunes en marge de leurs communautés.

>> Lire : « ‘La nouvelle géopolitique post-Kadhafi explique les problèmes actuels’ au Mali »

EN PREMIÈRE LIGNE MÉDIATIQUE

La guerre saharienne actuelle est moderne, communicante et attache une grande importance à l’impact des mots et images qui filtrent vers l’extérieur.
En Europe, hormis les porte-parole du MNLA [Mouvement national pour la libération de l’Azawad], peu de personnes ont évoqué les événements, du côté touareg, depuis le début des hostilités, à la mi-janvier.

Tinariwen se retrouve en première ligne médiatique, s’attend à devoir répondre, lors de sa tournée qui débute, à plus de questions sur leur positionnement politique, que sur le fait qu’il vient d’être récompensé par un Grammy Award aux Etats-unis. Sont- ils pour la création d’un Etat au nom d’Azawad, indépendant du Mali ou non ? Sont- ils impliqués dans la rébellion ? Le musicien joue nerveusement avec le clavier de son portable.« Nous sommes très vigilants sur ce que l’on dit ou sur ce que l’on cherche à nous faire dire, car nous sommes comme nos ancêtres, les gardiens de notre culture.
Donc c’est à nous de veiller à ce qu’elle ne soit pas travestie, ou qu’elle ne soit pas transformée à des fins politiques. »

Depuis quelques semaines, on peut lire en ligne un flot de rumeurs aux sources invérifiables. Les inquiétudes de fans du monde entier. Sur Facebook principalement.
Le 31 janvier, Kabyles.net annonce qu’« un membre du groupe Tinariwen a rejoint les rebelles ». Et que, « selon une source sûre, Ibrahim ag Alhabib, dit Abraybone, du groupe Tinariwen, a quitté le groupe pour rejoindre les rebelles touaregs. Il dit avoir tout chanté pour faire connaître son peuple, mais aujourd’hui, il veut lui être utile autrement. »

Le groupe Tinariwen.

CLICHÉ DU REBELLE « À LA GUITARE ET KALACHNIKOV »

Personne ne semble penser qu’au lieu de monter sur scène, il puisse préférer pour un temps s’occuper des siens, les mettre en sécurité. Ni Ibrahim ni Elaga Ag Hamid n’ont pris l’avion hier. Pas plus que d’autres musiciens du groupe, formation à géométrie variable dès son origine. Au cliché du Touareg « homme bleu sur son chameau » a succédé celui du rebelle saharien « à la guitare et Kalachnikov ».

« Certain parmi nous n’ont pas pu venir dans la tournée, parce qu’ils étaient dans une situation d’urgence où ils devaient protéger leur famille, reprend-il. Mais nous avons tenu à venir, même si c’est dur pour nous, dans ces moments difficiles, de chanter et faire la fête, pour faire passer au monde le message qu’il y a un peuple oublié qui est en train de mourir, au fond du désert du Sahara. Je ne crois pas que le gouvernement du Mali a une solution pour nous. Aujourd’hui, nous sommes dans la période debout. Pour s’asseoir, je ne sais pas quand ce sera. »

Certains musiciens déclareront un soutien clair au MNLA, mais Iyadou poursuit : « Nous savons que ceci n’est pas dû au peuple malien. Le peuple malien est un peuple uni et fier, mais c’est les gouvernants, les politiques qui ne veulent pas appliquer les accords. Le peuple malien, c’est un peuple avec lequel nous nous sentons en cohésion. »

DES DRAPEAUX DE L’AZAWAD SUR SCÈNE

Tinariwen, les groupes de musique ishumar, tels Terakaft, Tamikrest et tant d’autres, sont liés à l’histoire de leur peuple. En temps de nomadisme, de paix, et en temps de guerre et de rébellion. Des drapeaux de l’Azawad apparaîtront certainement sur leurs scènes à Hong Kong ou San Francisco, comme un drapeau Amazigh apparut lors d’un concert à l’Olympia, il y a quelques années.

Alors qu’il fait sa valise pour une longue tournée, Iyadou sait qu’il est porteur du message de son peuple, que par la musique, il doit attirer la lumière sur les 150 000 réfugiés liés au conflit au Nord-Mali que dénombre le HCR [le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés].

Au Sahara, Ibrahim, Elaga, certains membres de Tinariwen et leurs familles sont peut-être dans l’une de ces vallées où leur ingénieur du son, Jean-Paul Romann, avait capté le jeu du vent sur les cordes d’une guitare électrique restée branchée, mélodie pacifique qui fait le tour du monde.

Arnaud Contreras (documentariste et producteur à France Culture)